Aharon Appelfeld
L'Ecole des Loisirs
medium
mars 2014
150 p.  15 €
 
 
 
Rencontre avec Aharon Appelfeld

Le vieil homme et les enfants

Aharon Appelfeld, romancier et poète israélien, auteur d’une quarantaine de romans (traduits en 35 langues), publie son premier roman pour la jeunesse, « Adam et Thomas » (Ecole des Loisirs). Il est né en 1932 en Roumanie, de parents juifs assimilés germanophones. Après l’assassinat de sa mère en 1940, il connaît le ghetto puis la séparation d’avec son père, et enfin la déportation dans un camp de concentration en Ukraine, dont il parvient à s’évader. Comme ses héros, il a alors trouvé refuge dans la forêt. Dans tous ses romans, il livre des pans de sa propre vie. Ici, il se dévoile encore un peu…

Après avoir publié 42 romans, « Adam et Thomas » est votre tout premier livre pour la jeunesse…
Oui, c’est bien la première fois que j’écris pour des enfants. Mais ce n’est pas une décision à proprement parler : quand je commence un livre, j’ai une « mélodie »  dans la tête. Pour « Adam et Thomas », cette mélodie était douce et porteuse d’espoir, et donc destinée aux enfants… mais les enfants sont très présents dans mes autres romans, comme dans « Histoire d’une vie », ou « Tsili ». D’ailleurs, le thème – des enfants juifs qui se réfugient dans la forêt pendant la seconde guerre mondiale- n’est pas nouveau.

Malgré la guerre, les déportations de juifs dans les camps de concentration, ce roman prend la forme d’un conte, et la fin est heureuse…
La fin « semble » heureuse. Elle ne l’est peut-être pas ! J’espère que l’on comprendra que ces enfants retrouvent leurs parents parce qu’ils l’ont imaginé, désiré. C’est le souvenir de leurs parents qui les sauvent, l’espoir aussi. C’est l’enfant qui fait revenir la mère : Adam a confiance en la nature, confiance en sa mère. Ce n’est pas un « happy end ». Moi dans la forêt, je me disais : « Si je vois un cheval noir, mes parents reviendront ».

La Shoah, n’est-ce pas un sujet trop grave, trop triste, trop bouleversant pour les enfants ?
Je constate que trop de romans pour enfants n’ont vocation qu’à divertir. C’est une mauvaise approche. Ils doivent être pris au sérieux, ils doivent être considérés. C’est encore une question de respect. Il n’est pas juste de dire qu’ils veulent seulement être divertis, ils sont capables de comprendre certaines choses, même les plus graves et les plus horribles. En fait, ils ont terriblement soif de vérité. On doit leur dire la souffrance, comment les choses se passent. J’ai essayé de mêler le divertissement, le récréatif, et le sens.

Et dans ce roman, ces enfants se posent justement beaucoup de questions…
Nul besoin de dire la tristesse aux enfants, ils comprennent eux-même que quelque chose manque. Ils sont curieux, et souvent, plus sensibles que les adultes  aux problèmes métaphysiques, existentiels… Mais aujourd’hui, on n’en parle plus. On se tait. Alors ici, ils formulent tout haut ces questions essentielles, et ils ne sont même pas obligés d’y répondre !  L’essentiel, c’est de se remettre en cause. Prenons par exemple la question de Dieu : beaucoup d’entre nous n’y croient plus, ne vont plus à l’église, mais nous avons tous des sentiments de religiosité au fond de nous. J’essaye de ressusciter ces sentiments, de les garder vivants.

Adam et Thomas sont deux enfants juifs, qui se réfugient dans la forêt. L’un –Adam a entièrement confiance en la nature, il est créatif et sensible. L’autre, Thomas, est plus prévisible, plus réfléchi. Mais qui sont vraiment ces deux garçons ?
Ils sont moi, tout simplement. D’ailleurs, je suis dans mes quarante deux livres ; je suis tout à la fois : des femmes, des prostituées, des enfants… Tous mes personnages sont une facette de ma personnalité. L’écrivain est tous ses livres, ils sont donc illimités, puisque je ne peux imaginer la littérature sans expérience personnelle. Ici, Adam et Thomas sont seulement deux parts de ma personnalité, religieuse et réfléchie.  Les autres parts  se trouvent dans d’autres romans. Et puis, l’imagination est importante : Thomas rêve beaucoup. Quand nous sommes en danger, les rêves permettent justement de s’échapper un instant, puis de revenir, de réfléchir.

Le troisième personnage, Mina, est une petite paysanne qui laisse de la nourriture aux deux enfants, au péril de sa vie…
Oui, Mina est une sorte de miracle. Elle est en danger, mais elle les sauve puisqu’elle leur apporte de quoi se nourrir, donc de quoi vivre. Elle leur donne du sens, elle est comme un ange, et elle ne parle pas. Elle dit, en tout et pour tout, un seul mot dans tout le roman.

Les animaux aussi tiennent une place importante dans vos romans. Ici, c’est le chien d’Adam, Miro, qui retrouve les deux garçons. Peut-on dire que c’est un personnage à part entière?
Oui les animaux tiennent une grande place dans toute mon œuvre. Dans ce roman, Miro transforme complètement la vie d’Adam et Thomas : il leur apporte du réconfort, de l’espoir, de l’amour aussi. Ce n’est pas pour rien que l’on dit que le chien est le meilleur ami de l’homme. C’est un animal qui ne vous demande rien, il se contente de vous offrir, de vous donner… On peut nous-même donner et recevoir d’un animal. Et puis, les enfants se construisent un nid, ils ressemblent donc aux oiseaux, ils observent la forêt. C’est leur maison ! Ils l’améliorent, en changent. Le nid devient leur seule protection.

Vous avez écrit sur la seconde guerre mondiale, mais vous refusez le titre d’écrivain de la Shoah, pourquoi?
Je ne suis pas un écrivain de la Shoah tout simplement parce que je ne peux pas porter la Shoah sur mes épaules. C’est bien trop lourd !  Et puis, « Adam et Thomas » n’est pas un livre historique sur la seconde guerre mondiale, mais un roman sur la solidarité, l’espoir, le respect – ces enfants se respectent, et respectent la nature-. Dans mes romans, je parle d’individus qui ont survécu, pour la plupart, à l’Holocauste. Je n’écris pas mes mémoires, ni de livres historiques, ce n’est pas mon approche. J’écris sur la vie, sur les enfants, sur les parents, sur Dieu, la forêt, et non sur Hitler… J’écris sur ce monde et ce qu’il s’y passe. Je ne prétends pas vouloir changer les choses : il n’y a pas de message particulier dans ce roman. J’ai seulement voulu offrir un « petit cadeau » aux enfants.

Propos recueillis par Mathilde Dondeyne

Retrouvez la chronique de Mathilde sur « Adam et Thomas »

Lire également l’entretien avec sa traductrice Valérie Zenatti sur le site de l’Ecole des Loisirs

 

 
 
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