Le Grand Jeu
Céline Minard

Rivages
août 2016
192 p.  18 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

A la verticale

« Respirer le monde de l’extérieur quand je serai dedans » : ce « dedans » où l’héroïne du dernier roman de Céline Minard décide de se retirer, isolée de tout, c’est un « tube de vie » en fibre de verre ultra high-tech, suspendu entre ciel et roche, sur un éperon granitique situé à 3400 mètres d’altitude. Même si vous êtes sujet au vertige, surtout ne passez pas votre chemin de cet épatant roman. Équipée d’un violoncelle et d’un carnet pour y saisir ses observations et ses sentiments, elle décide d’échapper à la civilisation pour se retrouver en prise avec les forces de la nature et des éléments. Son souhait profond ? Comprendre ce qu’elle a négligé et qui pourtant aurait pu la conduire au bonheur. Sa démarche n’est pas sans rappeler celle d’ Henry David Thoreau et son chef d’œuvre naturaliste « Walden ou la vie dans les bois ». Mais là, il s’agit plutôt de la vie dans la montagne : « Je suis chez moi, jusqu’aux crêtes qui perforent les nuages et même au-delà », cet au-delà n’étant pas que géographique, mais surtout métaphysique. Au fil des pages, elle se pose et nous pose beaucoup de questions d’ordre existentiel ou philosophique sur les relations humaines, la prise de risque, le danger, l’isolement, la mort, l’immortalité. Des questions qui restent libres, ouvertes et le plus souvent sans réponse, comme « À quelle distance de la mort il faudrait se tenir pour éviter de mourir ? ».

La très imaginative Céline Minard ne cesse de nous surprendre, même si son talent se déploie avec une grande liberté livre après livre. Son précédent roman, un western métaphysique « Faillir être flingué » (Prix du livre Inter 2014) était comme celui-ci très imprégné de la « Wilderness » que lui ont inspiré ses lectures de Thoreau, mais aussi de John Muir. Dans ce huitième roman, elle plonge à plume perdue, mais très maîtrisée dans cette littérature de genre appelée « nature writing » qui lui va comme un gant. Après les grands horizons, c’est à un voyage immobile à la verticale qu’elle nous invite. Loin du bruit du monde, son héroïne tente de donner de la hauteur à son âme, jusqu’à l’apparition incongrue d’une nonne chinoise qui joue du gong à toute volée la nuit dans la montagne. Pour la jeune anachorète high-tech, c’est un rêve d’isolement qui se brise, mais c’est aussi une voie inattendue qui s’ouvre vers une autre forme d’intériorité et d’altérité.

« Le grand jeu » sur cette sangle tendue entre ciel et terre qui donne son titre au texte peut s’entendre comme le grand « Je », celui du moi qui se reconstruit : « L’immobilité n’existe pas, la sangle fait raisonner tous les mouvements et précisément ceux de l’âme ». Ce roman sans nul doute s’impose comme un des plus jolis vertiges littéraires de cette rentrée 2016.

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