Mariées rebelles
Laura Kasischke

traduit de l'anglais par Céline Leroy
Points
août 2016
192 p.  7,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Poétesse du Midwest

En France, on connaît Laura Kasischke comme l’auteure des romans « Esprit d’hiver » ou « A moi pour toujours ». Or, aux Etats-Unis, elle est d’abord considérée comme une poétesse, sa poésie étant aussi importante, sinon plus, que sa production romanesque. Jusqu’à présent, le lecteur français en était privé, mais voilà qui est réparé grâce à une nouvelle maison d’édition qui publie en version bilingue son premier recueil, paru en 1992. Céline Leroy traduit avec maestria ces poèmes en vers libres qui font écho aux thèmes qu’on lui connaît : le mystère, la femme, la mort. Dans un mélange de familiarité et de surnaturel, Laura Kasischke décrit un monde désenchanté que seules les images poétiques permettent de supporter, car, affirme-t-elle, la poésie n’est pas juste une forme différente de dire ce qu’on écrit en prose, mais possède un contenu propre édifié sur des sensations et des images.

Sous le signe de Médée

« Mariées rebelles » est placé sous le signe de Médée, amante jalouse et mère infanticide, parce que c’est bien le tragique de la condition féminine qui y est appréhendé sous l’angle du quotidien, métaphorisé par les pommes véreuses, les tasses vides qui traînent dans l’évier, ou les mites qui font de la dentelle avec une vieille robe de mariée. Dans cette matérialité du Midwest où l’auteure a grandi et vit encore, l’alcool et les antidépresseurs apparaissent bien souvent comme seuls palliatifs au désespoir, avec le mariage ; mais celle qui appelle de ses vœux un mari de conte de fées pour échapper à une famille vénéneuse est avertie par ses sœurs d’infortune de la « vie ordinaire » qui l’attend, et des « trois nuits de plaisir suivies / de trente ans de malchance ». Il faut bien se rendre à l’évidence, « l’amour meurt lentement » et devient cendres dans la cheminée, cependant que la mort rôde partout : tandis que les animaux sont empoisonnés par l’écosystème, les femmes développent des cancers qu’elles transmettent à leurs filles.

Poètesse ou sorcière ?

Contre ces menaces, il y a la puissance du verbe, car être poète, c’est être sorcière, réveiller les morts, c’est sortir même si la neige est rougie par le sang, désobéir malgré les dangers, fouir la terre pour y trouver un mystère et repérer les signes d’un avenir déjà en ruines. On trouvera dans ce recueil publié à l’âge de 31 ans l’origine des inspirations et des obsessions de Laura Kasischke, un régal pour ses admirateurs inconditionnels (comme moi !) et une façon différente et sensorielle d’entrer dans son œuvre.

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