La vallée du diable
Anthony Pastor

Casterman

122 p.  20 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Après la Grande guerre

Seconde partie du Sentier des reines, paru il y a maintenant deux ans, avec la Vallée du diable, Anthony Pastor reprend le fil de son récit pour nous conduire en Nouvelle-Calédonie.

Le Sentier des reines débute dans les Alpes françaises en 1920. Florentin, le narrateur, est un jeune orphelin dont les parents ont été emportés lors d’une avalanche, avec les Dupraz, père et fils. Les veuves Dupraz, Blanca et Pauline, vite rejointes par Félix Arpin, copain de tranchée de François Dupraz, forment le reste du quatuor.
Dans cette première partie, Blanca joue le rôle de leader. Elle décide de quitter la Savoie et ses traditions, la tenue surmontée d’une coiffe « frontière » savoyarde qui les stigmatise autant qu’elle les embarrasse. Pauline incarne un personnage plus jeune, soumis à l’habitude, tandis que Florentin fait office de voix off, n’intervenant qu’en ultime recours. Félix Arpin a fréquenté la tranchée avec Dupraz père. Un larcin commis avant la fin du conflit, le vol d’une montre de valeur, justifie sa présence auprès du trio, et surtout la poursuite à laquelle il se livre durant cent vingt pages. De la Haute Tarentaise, le groupe descend à pied en hiver jusqu’à Mâcon, prend le train pour Laroche, rejoint Paris par voie d’eau pour retrouver Rouen et la fin de l’aventure. Pastor décrit la fuite en avant de ses héroïnes comme une émancipation de leurs conditions d’alors. L’utilisation des modes de transport modernes que sont la voiture et le train fait état du changement de société et de la nouvelle place occupée par la femme après la Première Guerre mondiale.

La Vallée du diable entraîne les protagonistes au bout du monde. Cinq ans plus tard, embarqué dans l’aventure derrière Blanca et Pauline, Florentin reprend son récit. Félix Arpin, tel le sparadrap du capitaine Haddock, les a suivi dans l’aventure. Il est dorénavant intégré à l’équipe, puisqu’il a épousé Pauline. Sur place, un couple – père/fille – de colons les a assimilé à la société locale, au rang le plus bas. Pastor dépeint le mode de fonctionnement de cette communauté française loin de la métropole, sa hiérarchie, ses excès. La place des autochtones devenus « sauvages », expropriés devant l’exploitation minière du nickel, ou celle des étrangers comme petites mains,comme les javanais. L’intrigue reprend ce schéma de domination, entre colons et canaques, entre petit blanc et étranger, entre Félix Arpin et Florentin, pour la belle Pauline, sous l’œil de Blanca.

Pastor peaufine la psychologie des principaux personnages, cette improbable famille composée de deux femmes, deux hommes, (les trois âges), tel un romancier réaliste. Sa maîtrise graphique façonne l’« effet de réel » par ses multiples décors, des Alpes aux Antipodes, ces ambiances dynamiques alternant avec la contemplation immobile de paysages neufs. Les couleurs incarnent cette diversité, du glacial hiver savoyard aux températures élevées du Pacifique Sud. Au-delà de l’intimité des personnages, sans négliger l’universel sentiment amoureux, Pastor déploie une intrigue d’après la Grande Guerre marquée par l’évolution de la condition féminine et l’organisation du modèle colonial.
Depuis le formidable Las Rosas (édition de l’an 2, 2010), dans lequel le personnage de Marisol préfigure celui de Blanca, le trait de Pastor s’est modifié, davantage fluide, plus évocateur. Il a gagné en maturité ce qu’il a perdu en singularité. Anthony Pastor est un auteur complet, le texte et l’image se bonifient mutuellement pour un résultat remarquable.

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