critique de "Entre les deux il n'y a rien", dernier livre de Mathieu Riboulet - onlalu
   
 
 
 
 

Entre les deux il n'y a rien
Mathieu Riboulet

Editions Verdier
litt francaise
août 2015
136 p.  14 €
ebook avec DRM 8,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Vous n’en sortirez pas indemne…

Le livre de Mathieu Riboulet, Entre les deux, il n’y a rien (Verdier), est de ceux dont on ne sort pas indemne. D’abord à cause du thème qui est le sien : le parcours d’un garçon, né en 1960, qui découvre, dans les années 70, son homosexualité et les luttes politiques que livrent, un peu partout en Europe, des hommes et des femmes qui refusent le système économico-politique et qui, s’attaquant au pouvoir de l’Etat, sont les victimes d’une répression féroce. « Abattus comme des chiens », la formule revient comme un leitmotiv, torturés en prison, suicidés dans leur cellule, les militants des Brigades Rouges, de la Bande à Baader et d’autres paient de leur vie leur révolte contre un ordre qu’ils jugent inique. A la violence de leurs actions, seule manière à leurs yeux, d’ébranler la violence qui dépossède tant d’hommes de leur vie, répond la violence, encore plus forte, des appareils répressifs d’Etat. »Nous nous sommes saisis de la violence à pleines mains, nous en avons disputé le monopole à l’Etat, qui ne nous l’a toujours pas pardonné, nous ne l’avons délégué à personne, bras armé ou organisation clandestine dont il aurait été facile de dire qu’elle agissait et que nous n’entrions en rien dans ces calculs (…), nous sommes violents et nous ne comptons nous excuser de l’être, nous sommes la tempête que vous récolterez… » Ces années 70, nous avons oublié leurs drames et leur radicalité pour n’en retenir que leur design ; elles furent celles d’un paroxysme de jouissance revendiqué contre toutes les barrières familiales et morales et d’un déchaînement des luttes entre la toute-puissance des forces de l’ordre et la détermination jusqu’au- boutiste des résistants. »Entre les deux, il n’y a rien. » La fin est tragique – nous vivons encore dans cette fin, sans en être conscients : l’assassinat d’Aldo Moro marque le triomphe du cynisme politique des maîtres du monde et l’apparition du sida sonne le glas d’une sexualité sans limite. La deuxième raison pour laquelle nous ne sortons pas indemnes de ce livre c’est son écriture. Le style de Mathieu Riboulet, en tout point remarquable, vibre encore de la rage de son adolescence et de la douleur d’avoir perdu, Martin, celui qui fut son double merveilleux et unique. ce style est d’une puissance à couper le souffle, sans joliesse inutile mais efficace. Ces longues périodes, ces répétitions, cette cadence souvent vertigineuse, cette tension jamais retombée s’adaptent magnifiquement au propos même de Riboulet. Je signale, toujours chez Verdier, un échange de lettres entre Mathieu Riboulet et Patrick Boucheron, Prendre dates, Paris, 6 janvier – 14 janvier, qui est un des textes les plus intelligents que j’ai lu sur les assassinats perpétrés à Paris.

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