Celui qui va vers elle ne revient pas
Deen Shulem

GLOBE
mars 2017
352 p.  22 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

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« On ne peut pas laisser les règles des autres définir qui l’on est. » Elizabeth Brundage in Dans les angles morts

Cette phrase, tirée du livre « Dans les angles morts », se marie admirablement bien avec le sujet de ce livre magnifique.

Shulem Deen est un homme qui s’en est sorti. Non pas que la situation dans laquelle il était était en valeur absolue un problème, mais c’est ainsi qu’il le vivait. De religion juive, Shulem Deen, à la mort de son père, alors qu’il n’était âgé que de 13 ans, avait besoin d’une communauté qui l’accueille, qui lui offre un soutien. Tout cela, et bien plus encore, trop peut-être, il l’a trouvé dans la communauté hassidique de New Square, petite commune de 7000 habitants environ, au nord de New-York, à 45 minutes de bus de Manhattan.

Cette communauté a été fondée au milieu des années 50 et devait s’appelait New Skver en hommage à la communauté juive skver issue de l’Europe de l’Est. Pour décrire cette communauté et son mode de vie, disons qu’ils rejettent tout modernisme et dans leur foi et dans leur mode de vie. Pas de télé, pas de radio pas de journaux, pas d’études d’anglais, de mathématiques ou d’histoire. L’étude du droit leur permet de rédiger sans sourciller un contrat valable du temps de la splendeur de la civilisation sumérienne ou de savoir comment proprement égorger tel ou tel animal mais ils sont incapables, pratiquement, de se mêler au monde dont la communauté fait tout pour se couper.

Le code vestimentaire en vigueur est le triptyque schtreimel, téphillim et papillottes.

Au sein des communautés ultra-orthodoxes juives, la communauté skver, de l’aveu même de Shulem Deen, passe pour une des plus extrémistes qui soit… certains des membres de la communauté ne parlent pas anglais et ne s’expriment qu’en yiddish.

Grandissant dans cette communauté, Shulem Deen s’est fatalement marié à une jeune fille issue de cette communauté qu’il a pu rencontrer au court d’une présentation de 7 minutes totalement épique et ubuesque.

Il va sans dire que cette isolement, volontaire, s’accompagne d’une soumission sans faille exigée par le rebbe et ses sbires (en gros le reste de la communauté dans la mesure où ce type de protectionnisme exige l’implication de chacun dans un système d’auto-surveillance et d’auto-délation).

Et pourtant, au cœur même de Shulem Deen, tout concourt à faire grossir sa propension à (se) questionner. Tout commence par la remise en question que Shulem Deen fait de sa propre foi avant d’étendre ses interrogations à la foi telle qu’elle est mise en avant, prônée, par les autorités religieuses.

Si au départ, il parvient à garder secrets ses propres doutes, y compris aux yeux de sa femme et de ses enfants, il devient au fil du temps de plus en plus dur de cacher le fait qu’il ait totalement perdu la foi. A partir de cet instant il est tiraillé entre son désir de s’émanciper et le besoin qu’il ressent malgré tout de continuer à faire partie d’une communauté, et d’une famille, aussi castratrice soit-elle.

Les origines des remises en causes auxquelles procède Shulem Deen sont multiples. Elles prennent racine dans un terreau familial propice : son père et sa mère étaient des orthodoxes qui n’hésitaient pas à s’ouvrir aux athées, aux juifs non pratiquants voire aux non-juifs. Elles se construisent ensuite à travers une jeunesse passée dès le plus jeune âge à douter. On sent que le doute ne s’est pas insinué en une seule fois en Shulem Deen mais qu’il a pris le temps de germer au fil des années, sachant rester en sommeil quand il le fallait, à la mort du père, par exemple, se terrant dans l’ombre d’une foi déjà vacillante pour mieux resurgir à l’âge adulte.

De toute les façons, le mode de vie de la communauté skver n’est pas fait pour favoriser l’attitude de Shulem Deen. Et son donc bien finalement la communauté qui prendra en quelque sorte la décision pour Shulem Deen : celle de le rejeter, de le bannir pour hérésie. Mais le fait que cette exclusion vienne de la communauté et non pas de Shulem Deen lui-même aura des conséquences dramatiques sur ses relations avec d’une part sa femme mais aussi et surtout d’autre part ses enfants.

Le livre de Shulem Deen est un témoignage somptueusement écrit et magnifiquement traduit avant tout. Mais c’est un livre sur l’importance de faire des choix, même si certains sont imposés ou provoqués, et surtout de les assumer, quoi qu’il en coûte. C’est un livre sur la libre conscience de l’homme qui ne devrait échapper à personne mais que le poids et le pouvoir d‘une communauté peu endiguer et mettre sous l’éteignoir. Le poids du nombre en impose fatalement à l’individu.

C’est ainsi le sens qu’a pris la vie de Shulem Deen : seul face à une communauté, il s’est engagé dans une association « Footsteps » qui vient en aide aux personnes qui souhaitent s’extraire de ces communautés qui ressemblent beaucoup à ce qu’on appellerait chez nous une secte mais qui n’est pas reconnue comme telle par les pouvoirs américains.

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