Journal (1939-1945)
Maurice GARÇON

Edition assurée par Pascal Fouché et Pascale Froment
Tempus Perrin

960 p.  17 €
ebook avec DRM 24,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

« Ces gens-là sont de tristes salauds »

Il fut l’un de ces avocats qui sont plus que des avocats. Ténor du barreau parisien de 1912 à 1967, nourri d’humanités, évoluant aux confins de l’art, de la politique, du journalisme et des affaires, Maurice Garçon est aussi le chroniqueur de son temps.

Toute sa vie il tint avec constance un journal, écrit d’un seul jet, sans rature ni repentir. Un plume fluide, précise, parfois mordante, étrangère aux digressions.  Il n’y parle ni de lui ni de sa famille –jamais rien de personnel- mais raconte l’état de la France, la guerre, la politique.
Le volume qui paraît aujourd’hui, fut écrit entre 1939 et 1945,  à Paris ou à Ligugé, bourgade proche de Poitiers où il possède une propriété.

Sa lecture est captivante.  On parcourt toute la guerre aux côtés ou plus exactement à la place d’un homme intelligent et cultivé. Rédigé sans volonté d’être publié, ce journal est écrit avec franchise par un homme lucide qui ne fut ni un héros –il ne résista pas-, ni un salaud –il ne collabora jamais. Remarquablement édité par Pascale Froment (auteure notamment de la biographie de René Bousquet) et Pascal Fouché, historien de l’édition, ce texte fourmillent de notes qui précisent le contexte et en enrichissent encore la lecture. 

On se désespère et on s’indigne de la débâcle française de mai-juin 40, mais l’on se dit que Pétain va sauver l’honneur. Très vite on déchante et le maréchal devient « le vieux » tandis que Laval apparaît, dès le premier jour, comme un salaud. Garçon décrit un pouvoir fantoche, où l’information n’est que propagande, la police collabore et la justice est aux ordres (les magistrats ne sortent vraiment pas grandis de ce journal).

Mais le plus frappant de ces pages, c’est l’incertitude dans laquelle on traverse ces années. Garçon est bien informé, très bien même. Il connaît beaucoup de politiques et de haut fonctionnaires, Il écoute la téhessef (c’est comme cela qu’il dit), la radio officielle, les radios allemandes et anglaises et il lit les journaux. Pourtant il a beaucoup de mal à évaluer l’état réel des forces, à percevoir l’évolution de la situation, à envisager l’avenir.  Il n’a aucune confiance en de Gaulle, il se méfie des Anglais et plus tard il craindra les communistes. Il ne semble pas au courant des camps d’extermination, il ne comprend pas les rapports de force entre les alliés et ne prend pas vraiment la mesure de la résistance, dont il critique les actions à cause des représailles épouvantables qu’elles provoquent.  Au fil de cette lecture, on perçoit l’extrême complexité de l’époque et  la difficulté d’être clairvoyant. 

Le plus curieux, c’est Garçon lui-même. On se demande pourquoi il ne fut pas pétainiste. Car enfin il incarne cette droite, provinciale d’origine, profondément conservatrice. Lui qui s’indigne sincèrement du traitement des juifs peut écrire qu’il ne souhaite pas que ses enfants en épousent « pas plus que des turcs ou des polonais ». Xénophobie banale et commune. Et quand il revient vers Paris en septembre 1944 et qu’il croise les premiers soldats américains, il s’exclame : « Stupeur. Ce sont des nègres », comme le ferait un vieux colon. 
Ce conservatisme foncier se retrouve aussi dans ses goûts. Le 15 octobre 44, il se rend au Salon d’automne où quelques Picasso sont accrochés. Son jugement est sans appel : « Ce qu’il a exposé n’est pas horrible, c’est seulement sot et ridicule ».

Il n’est guère plus tendre avec les artistes et les écrivains qu’il côtoie d’autant plus assidument qu’ils sont souvent ses clients et qu’ils participent de cette vie littéraire et mondaine dans laquelle il baigne.  Guitry apparaît comme un vaniteux, Raimu n’a pas la culture suffisante pour interpréter Molière, Mauriac l’agace souverainement, Claudel l’ennuie, Marie Laurencin « est toujours aussi bête » et la littérature de Valéry « est aussi simple qu’artificielle ». Colette, elle, est assassinée : « Pourquoi parle-t-elle toujours de ses narines. […] il semble que ses trous de nez jouent un grand rôle dans sa vie ».
Ces méchancetés, il les garda pour son journal. Le mondain qu’il était se devait d’être civil et courtois pour se faire élire à l’Académie française où il entrera en 1946 après avoir mené une campagne active.

Maurice Garçon est donc tout, sauf un moderne. Ce qui le préserva de Pétain et de sa clique, ce sont probablement son intelligence et son intégrité. La médiocrité qui régnait à Vichy lui était insoutenable. Et puis Garçon est un républicain convaincu, profondément respectueux des règles et des procédures dont le dévoiement l’indigne profondément. Et de ces principes-là – c’est son honneur -, il ne dérogera jamais. 

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