critique de "Le nouveau malaise dans la civilisation", dernier livre de Marie-France Castarède, Samuel Dock - onlalu
   
 
 
 
 

Le nouveau malaise dans la civilisation
Marie-France Castarède, Samuel Dock

Plon
février 2017
384 p.  19,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
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La solution est en l’homme

Après « Le nouveau choc des générations », Marie-France Castarède et Samuel Dock reprennent leur conversation. La première prenait pour pierre angulaire le livre de Margaret Mead « Le fossé des générations » paru en 1971, celle-ci part de « Malaise dans la civilisation » de Sigmund Freund paru en 1930.

Cette nouvelle discussion étend et étoffe la première qui se limitait (et c’était déjà dense) dans son champ de réflexions à une génération quand le propos ici se veut plus global et a trait à la civilisation actuelle. La génération évoquée dans le premier opus s’inscrit forcément dans une civilisation ou une société qui est, finalement assez logiquement, à son image : en crise. La nouvelle génération, en proie à une crise identitaire (en dehors de toute considération nationale, hein !), a laissé Narcisse prendre les commandes : à des individus individualistes répond une société individuelle, marquée par la même recherche de la satisfaction immédiate au détriment d’une vision à plus long terme.

Marie-France Castarède et Samuel Dock inscrivent ce nouveau malaise à travers cinq réflexions ou thèmes principaux : religion/politique, environnement, spiritualité, technologie et art.

Le premier constat qu’ils font est celui d’une société qui vit sans religion et donc dans ligne directrice. La religion ne s’occupe plus des questions de société, soit, mais la sphère politique, qui historiquement a pris le relais de la religion, a semble-t-il également baissé les bras sur ces questions. La société s’efface alors face à l’individu. Cet individu même qui n’a plus les repères nécessaires à la vie en collectivité ni au développement de cette collectivité.

De nihilisme en orgueil, l’individu héros du passé est devenu un héros négatif à la perception assombrie de la société dans laquelle il se débat. Ce qui a pour conséquence d’engendrer une agressivité néfaste.

La violence est innée à l’individu, et donc à la société, elle tient du réflexe, elle est globale et générale… mais l’agressivité engendrée par l’individualisme exacerbé est elle une extension de la violence qui devient alors dirigée vers une personne, un objet, une communauté. Elle se pare d’un but, d’une volonté.

Pour avoir oublié de vivre avec les autres, définition même de la civilisation, l’être humain est donc passé à un hédonisme de survie où l’épuisement du désir lui interdit de s’inscrire dans un projet d’avenir, limité qu’il reste par l’immédiateté de ses désirs et surtout le fait d’assouvir tous ses désirs.

L’être humain se construit aussi et avant tout dans le manque… l’être humain moderne se construit dorénavant à travers le « manque du manque », cette complétude de ses désirs et de façon immédiate étant antinomique avec le concept même de civilisation qui s’inscrit dans la durée.

La perte du langage, ou sa dégradation, déjà soulignée dans le « Nouveau choc des générations », empêche l’être humain de construire, penser, conceptualiser et transmettre un projet de civilisation, de vivre ensemble. C’est cette perte de repère linguistique qui induit l’individualisme, l’absence d’échange et le recourt à la violence. Cette violence prend différentes formes et peut être dirigée autant vers d’autres civilisations, d’autres communautés que vers la planète elle-même.

Le rapport à l’écologie est ainsi symptomatique de notre rapport à l’autre. On oscille entre espoir et défaitisme et morbidité. Marie-France Castarède reconnait à sa génération de n’avoir pensé qu’à elle-même. Sortant d’une guerre mondiale dévastatrice, la reconstruction était le mot d’ordre quand celui de la génération suivante a été la conservation et que celui de la génération actuelle est devenu le sacrifice au nom des générations futures. On est passé d’une situation où l’être humain a abusé de la planète à une situation où il doit rendre des comptes : la posture du « après moi le déluge » ne tient plus. On retrouve ici un négativisme propre à la société hypermoderne.

Ce pessimisme ne se contente pas de se propager au niveau des questions environnementales, fondamentales à la survie d’une civilisation, il touche aussi la sphère spirituelle. L’être humain peut-il s’inscrire dans un avenir ou uniquement dans un au-delà ? L’enjeu de la modernité à venir (je préciserai cette modernité à la fin du billet) est bien de donner un sens à l’individu et à la société et plus loin encore à l’individu dans la société.

Lipovetsky a ainsi résumé ces crises spirituelles liées intrinsèquement à la perte du langage : « L’engouement a remplacé la foi, la frivolité du sens l’intransigeance du discours systématique, la décontraction le jusqu’au-boutisme ».

Cette défaite du langage prend toute son ampleur dans la victoire de l’image qui l’a supplanté autant dans la spiritualité que dans notre rapport à la technologie. Samuel Dock avance qu’« on a foi en l’objet, on prie ses signes, on les aspire, on les fait siens, pourvu qu’ils modifient une partie de nous, qu’ils nous permettent de nous élever. Et l’esprit dans tout cela ? La liturgie de l’objet menace-t-elle la culturalité ? Est-ce ce qu’il nous reste du sacré ? ». L’objet, ou l’image, en lui-même est plus important que ce qu’il dit, ou que ce qu’elle montre, que ce qu’ils symbolisent. Guy Debord précise à propos de l’individu face à l’image : « Plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. Aujourd’hui, il s’y abandonne volontiers, corps et âme ». Ainsi, l’image et la technologie se sont-ils accoquinés pour mieux pervertir l’âme de l’être humain qui ne se reconnait qu’à travers l’abus d’image et de technologie, peut importe son usage.

L’art devient alors peut-être le dernier enjeu pour la civilisation : à travers le lien qui’il crée entre les Narcisses hypermodernes et l’Autre, l’art devra s’inscrire comme pilier de la future civilisation, de la future modernité. Et pourtant, l’art n’est pas exempt de tous reproches : le culte de la beauté arrimée à la provocation d’émotions inscrit l’art dans la recherche d’un processus commercial auquel échappait l’art des civilisations précédentes. L’art peut toutefois être ce pont entre les pulsions de vie et les pulsions de mort de l’être humain et constituer le socle d’une civilisation tournée vers l’éducation et la reconquête du langage.

La recherche des émotions à tout prix est constitutive de la société hypermoderne qui a remplacé un être humain qui se restreint et se construit à travers le choix du manque par un être humain jouisseur qui veut tout, tout de suite et subit le manque du manque. L’être humain doit réapprendre à renoncer à ses désirs et ses pulsions.

Les civilisations sont passées petit à petit de la modernité à la post-modernité puis à l’hyper-modernité. Il me semble alors qu’il reste une « néo-modernité » à inventer. Quelle forme doit-elle prendre ? Quelle direction doit-elle suivre ? Marie-France Castarède et Samuel Dock n’y répondent pas ouvertement mais proposent au lecteur les clefs de réflexion propres à ce vaste sujet. Pour ce faire, ils convoquent une masse impressionnante de penseurs, psychanalystes, philosophes dont on peut tirer une quintessence de nature à nous aiguiller vers une nouvelle civilisation.

Des échanges entre Marie-France-Castarède et Samuel Dock peut venir la lumière au bout du tunnel : à nous de saisir les outils dont ils nous rappellent l’existence.

Dans ce second opus des échanges entre Marie-France Castarède et Samuel Dock, alors que dans le premier se dessinait un profond respect de Samuel Dock pour son aînée, Samuel Dock prend plus d’espace, plus d’ampleur, plus d’assurance et bouscule parfois son ancienne professeure pour faire entendre la voie d’une génération encore sous le choc.

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