Le tourment de la guerre
Jean-Claude Guillebaud

iconoclaste
sciences humain
janvier 2016
400 p.  20 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Voyage au pays de la guerre

Comment arrive-t-on à trouver glorieux et juste de tuer des gens sans défense qu’un soir le hasard et un goût commun pour la musique a réunis ? Pourquoi de jeunes Français se laissent-ils entraîner dans la spirale du jihad ? Pourquoi tant de haine ? De violence ?

Le mélange d’horreur, de sidération et d’incompréhension qu’ont suscité les attentats de 2016 et aussi l’annonce de départs de plus en plus nombreux pour la Syrie de garçons et de filles, fascinés par le monstre Daech, ont provoqué une cascade de livres, d’articles, d’interprétations, de réflexions, de mises en questions. Le flot n’est pas prêt de tarir, et c’est tant mieux. Le mal est loin d’être compris, or si l’on tient à guérir, mieux vaut ne pas se tromper de maladie.

Jean-Claude Guillebaud a commencé à travailler au « Tourment de la guerre » bien avant les événements, mais son livre apporte une pierre très utile à la réflexion commune. Il nous décrit une jouissance que nous ne voulons pas connaître.  

Longtemps les hommes ont aimé la guerre, et aujourd’hui encore certains l’aiment passionnément. Ce jeu très dangereux est devenu une terre étrangère pour la plupart des Européens. Mais Guillebaud, lui, entretient avec elle une familiarité trouble depuis son enfance. La guerre était le métier de son père, officier. A 21 ans, ce saint?cyrien de la promotion « La Grande Revanche » partit pour la guerre de 14. Quand il revint en 18, plus de la moitié de ses camarades avaient disparu dans la tourmente; vingt et un ans plus tard, tout recommençait. Jean-Claude Guillebaud, enfant, a joué avec un MP40, un pistolet mitrailleur allemand qui traînait, parmi d’autres trophées, dans une pièce à l’abandon de la maison paternelle. Adulte, il est devenu journaliste. Ancien soixante?huitard, il est antimilitariste, considère la guerre comme une « bêtise » et écrit dans des journaux de gauche. Mais le cœur de son métier est encore celui de son père : la guerre. Pendant vingt-six ans, du Biafra au Vietnam, de l’ex-Yougoslavie au Golan, il a couvert toute sorte de conflits, par goût.

Par procuration, il a connu toutes les exaltations, les horreurs et les traumatismes du combat. Dans « Le Tourment de la guerre » il nous promène au fil de ses sensations, ses souvenirs et ceux de son père, mais pas seulement. Le livre est aussi une longue déambulation à travers l’histoire de la guerre et de ses surprenantes métamorphoses; une déambulation nourrie d’érudition, de lectures diverses, de rencontres avec des auteurs méconnus ou oubliés dont il a tiré toute une série de petits encadrés qui à eux seuls vaudraient le détour. Le tout forme une sorte de « Voyage au pays de la guerre », à la fois personnel, dérangeant et collectif.

Marcel Gauchet, souvent sollicité pour mettre un peu de lumière dans la confusion récente des esprits, a souligné que l’une des difficultés intellectuelles du moment était la suivante. À force de s’éloigner des religions traditionnelles, les sociétés européennes étaient devenues incapables de les comprendre, et donc de comprendre ceux dont la violence s’en réclamait. Il aurait pu ajouter, selon l’expression même de Jean-Claude Guillebaud, que les sociétés européennes, après soixante-dix ans de paix, étaient aussi devenues des analphabètes de la guerre. « Le Tourment » permet de combler cette heureuse lacune, devenue par le malheur des temps, une dangereuse ignorance.

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