Ce que je ne pouvais pas dire
Jean-louis Debre

Points
avril 2016
504 p.  8,30 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Quand Debré balance

« Debré balance » aurait sans doute était un titre plus juste, tant Jean-Louis Debré se lâche dans ce journal qu’il a tenu du 16 mai 2007 au 5 mars 2016, période pendant laquelle il présida le Conseil Constitutionnel. Et c’est cette sincérité qui fait l’intérêt de ce livre. Celui qui, enfant déjà, jouait dans les jardins de Matignon quand son père était premier ministre de de Gaulle, qui fut ministre de l’Intérieur, député de l’Eure et Conseiller de Paris, Président de l’Assemblée nationale, connaît la vie politique de la cinquième république et ces acteurs comme peu.
Debré écrit avec la liberté de ton de celui qui a quitté la politique et avec l’assurance -un rien supérieure- de ceux qui n’ont guère de doute sur leur valeur ni celle de leur lignée. Lire ses considérations sur les uns et les autres, rédigées au fil des jours avec la sincérité qui caractérise l’écriture d’un journal intime a quelque chose de jouissif à une époque où tout n’est que communication, petite phrase calculée et tweet qualibré.
C’est sans conteste avec Edouard Balladur qu’il est le plus sévère. Il ne peut pas le croiser sans souligner sa prétention, sa fatuité et sa déloyauté. On sent qu’il prend plaisir à le mépriser.
Dans l’ordre de la détestation, vient ensuite -mais le gibier est plus gros- Nicolas Sarkozy. Il ne l’a jamais aimé (ce qui semble réciproque), ne lui pardonne pas d’avoir choisi Balladur contre Chirac en 1995. Il considère qu’il n’est pas à la hauteur de la fonction : « Rien ne m’étonne plus de Sarkozy. Il n’a pas grand sens de l’état. C’est un chef de clan ». Pour souligner à quel point l’ancien Président de la République se sent supérieur au commun des mortels, il rapporte une de leur discussion. Debré lui demande pourquoi il n’a pas remplacé Fillon :
« Le remplacer par qui ? Fillon ne me gênait pas, il n’est pas capable de courage. De toute façon avec le quinquennat le Premier ministre n’existe plus…
– Alliot-Marie ? – Elle est nulle.
– Baroin ? – C’était inimaginable.
– Borloo ? – Tu me voyais avec Borloo. Je l’aime bien mais il est dingue.
– Chatel ? – il est transparent… »

De Fillon, lui Debré, précise : « C’est un bon second » et de Juppé « c’est un homme aussi fascinant qu’il peut être décevant. » S’il est le plus souvent acide ou narquois, Jean-Louis Debré affiche aussi quelques sympathies. Pour Bruno Lemaire qui lui a succédé dans L’Eure et, plus surprenant, pour Lionel Jospin dont il découvre les qualités quand celui-ci rejoint le Conseil Constitutionnel.
Et puis Il y a Chirac, pour qui il éprouve une affection profonde et fidèle. Les mots sonnent d’autant plus justes qu’il ne verse pas dans l’hagiographie. Il est conscient d’un bilan mitigé, voire maigre et n’est pas dupe des faiblesses d’un homme dont on sent qu’il aime l’aimer.
Un dernier mot enfin. On sent Chez Jean-Louis Debré un respect inconditionnel pour nos institutions élaborées par son père, non par affection filiale mais parce qu’il est convaincu qu’elles sont celles qui conviennent le mieux à notre République. Or s’il y a une chose incontestable – et remarquable- qui ressort de ce livre c’est l’attachement non négociable, viscéral, presque passionnel, à cette République française qu’il est si fier d’avoir servi.

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