Ce coeur changeant
Agnes Desarthe

Points
août 2015
336 p.  7,40 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Formidablement ambitieux

Il y a des livres formidablement ambitieux, comme « Ce cœur changeant » par exemple. Encore faut-il avoir les moyens de son ambition. Mais là, aucun doute, Agnès Desarthe maîtrise l’art de conter et de raconter comme personne, et la richesse de son écriture, la puissance de ses images nous enchantent. Peut-être, au début, est-on un peu désarçonné. Juste le temps de trouver nos marques, de mettre nos pas dans les siens, et de nous laisser emporter par cette saga qui balaye le 20e siècle à travers une famille pour le moins étrange.

L’histoire débute à Soro, au Danemark, en 1887. Dès la première promenade en barque, René se retrouve piégé dans les filets de Kristina. Il est français, et ressemble à une musaraigne. Elle est danoise, aussi chaleureuse que la reine des neiges. Et aussi cruelle d’ailleurs, à moins que cette cruauté ne soit une forme de folie. Des années et une petite fille plus tard, le mari et la femme installent quelques milliers de kilomètres entre eux et peu à peu, la romancière va se désintéresser de ce couple pour se concentrer sur l’enfant, Rose, devenue une jeune femme de vingt ans. Propulsée à Paris au moment de l’affaire Dreyfus, sans un sou en poche, celle-ci va au fil des années, connaître à la fois la grande misère, l’amour avec une femme, la maternité, quelques moments de désespoir, mais elle ne cessera cependant jamais d’être habitée par une forme de grâce qui lui permettra d’affronter les pires moments de son existence…
Son père se trouve en Afrique et, pour lui, pour qu’il ne s’inquiète pas, elle s’invente une vie de princesse, alors qu’elle dort dans une cave peuplée de cafards et de rats. Sa mère, à qui elle a tenté de demander un peu d’argent pour pouvoir survivre, la renie. Elle croisera sur sa route quelques bonnes âmes, mais surtout beaucoup d’indifférence, sans que cela n’affecte son heureux caractère, n’ébranle sa vie intérieure, ne l’empêche d’élever le bébé qui lui a été confié selon les dernières volontés d’une lointaine cousine, et qu’elle va adopter. Désormais, elle ne peut plus baisser les bras, subir les mauvais coups du sort, elle va devoir se battre pour l’enfant.

Agnès Desarthe nous a habitués à des livres originaux, personnels, très romanesque et nous a souvent fait une entendre une voix différente de celle des autres écrivains français. Peut-être parce que son métier de traductrice l’a nourrie d’autres univers, d’autres manières d’envisager et d’écrire le monde. Avec « Ce cœur changant », elle réussit non seulement un tour de force littéraire, mais un roman envoûtant, qu’elle portait en elle depuis longtemps.

Lire aussi notre interview de Agnès Desarthe « Quelle lectrice êtes-vous? »

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