Histoire de la violence
Edouard Louis

Points
janvier 2016
240 p.  7,10 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Quand la violence vous rattrape

Louanges, malentendu, colère, revanche, succès… tous ces sentiments et ces événements contradictoires avaient salué la naissance d’un écrivain de vingt-et-un ans, Edouard Louis, et la parution de son premier roman: « En finir avec Eddy Bellegueule », Eddy Bellegueule étant de manière étonnante son vrai nom, Edouard Louis son pseudonyme. Sa famille lui avait reproché le portrait qu’il avait brossé de ses origines, de son village, et ses frères et sœurs n’y avaient pas vu ou mal vu l’amour qu’au contraire il leur portait.

Après cette entrée fracassante dans le monde des lettres, Edouard Louis aurait pu bénéficier d’un peu de répit pour entamer la suite de sa carrière. Il commençait son deuxième livre, lorsqu’il lui arriva quelque chose de terrible: un viol suivi d’une tentative d’homicide. Il s’en est fallu de peu qu’il ne meure étranglé, attaqué par le jeune homme qu’il n’avait pu s’empêcher de laisser monter chez lui… Une folie, certes; de l’inconscience, bien sûr; mais surtout l’incapacité de dire non, d’imaginer le pire…

Ce soir de Noël d’il y a un an, Edouard vient de quitter ses deux meilleurs amis, Didier et Geoffroy. Place de la République, il se fait aborder par un jeune Kabyle prénommé Reda. Il a bien essayé de refuser, de résister, il rêve de se retrouver seul pour feuilleter tranquillement les ouvrages qu’il vient de recevoir… Mais il finit par céder. Ce n’est pas tout de suite que les choses tournent au drame. Ce qui débute comme une aventure sans lendemain entre deux hommes, dérape, au bout de la nuit, lorsque Edouard s’aperçoit que Reda lui a volé son Ipad et son téléphone. Il lui demande de les rendre et cette réclamation pourtant bien légitime agit comme un détonateur sur le jeune homme, véritable bombe à retardement. Celui-ci se sent insulté, rabaissé, il devient fou et s’attaque à Edouard de manière extrêmement violente, avant de s’enfuir, de revenir, puis de disparaître à nouveau.

Ses amis Didier et Geoffroy le convainquent de déposer plainte. A quoi bon, se demande Edouard? La prison n’a jamais sauvé personne. Mais pressentant qu’il n’arrivera pas à surmonter le traumatisme s’il ne le rend pas public, il se rend au commissariat. Cette agression l’a non seulement terrorisé (plus possible de dormir chez lui), elle l’a replongé aussi dans la violence dont il a fait l’objet enfant. En invitant Reda dans son appartement, au mépris de toutes les règles de prudence, c’est comme s’il rejouait ce vieux scénario, lorsqu’il se laissait martyriser simplement parce qu’il était différent.

L’histoire est racontée par deux protagonistes: Edouard lui-même, fin lettré au langage précis mais jamais précieux; et par sa sœur qui rapporte les faits à son mari, dans un français approximatif, celui que l’on parlait chez les Bellegueule. Cette confrontation entre les deux mondes est intéressante, troublante même, comme si leur seul point commun restait la violence. Comme s’il était impossible de lui échapper. Ce nouveau roman, dans lequel Edouard Louis confirme son talent, va faire parler de lui, c’est sûr, et provoquer toutes sortes de réactions extra-littéraires. Espérons que cela ne cachera pas l’essentiel: la qualité littéraire de ce texte.

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Fuir et renaïtre

J’ai lu les deux d’un coup (En finir avec Eddy Bellegueule et Histoire de la violence) et suis restée sans voix. La violence pure, la haine sans mélange m’ont stupéfiée. Dans cette famille pauvre du Nord de la France, dans ce village où les fins de mois sont difficiles et où l’on boit pour oublier, la violence est omniprésente. Ce que l’on voit est laid, ce que l’on respire donne la nausée, ce que l’on avale engendre des haut-le-cœur, ce que l’on entend n’est qu’injures et cris. Eddy Bellegueule, le narrateur, va tout d’abord essayer de se fondre dans cet univers qui l’agresse : il essaie de jouer les gros durs, de boire de la bière, de prendre une copine… mais rien n’y fait. C’est un tendre qui n’aime ni la bière ni les filles. Alors, il faut fuir. « La fuite est souvent associée à la lâcheté, alors qu’elle est éminemment courageuse. Rompre c’est se réinventer. » dira Edouard Louis, l’auteur, qui a changé de nom, de dents, de corps et de langue. Seule l’école lui permettra de s’extirper de ce monde qui le rejette et dont il ne veut plus. Mais peut-on en finir avec Eddy Bellegueule ? Ce n’est pas si simple… Dans Histoire de la violence, ce sont les mots de la sœur aînée qui diront l’indicible : le vol, le viol, la tentative d’homicide, comme si seule la langue de l’enfance pouvait exprimer la violence subie. Il corrige les propos de sa sœur mais c’est elle qui parle, qui raconte à son mari ce que son frère a vécu cette nuit de Noël 2012, alors qu’il rentrait chez lui, la rencontre avec un jeune kabyle qui l’approche, le séduit. « Aimer une respiration, il faut le faire quand même. » s’indignera sa sœur. Et puis, les événements s’enchaînent très vite jusqu’au point limite, jusqu’au paroxysme de la violence. Mais le narrateur ne peut supporter d’entendre les policiers, ses amis, sa soeur prendre possession de son histoire : il sait que « le langage ment » et ne comprend pas comment son récit peut « ne plus lui appartenir », il se retrouve soudain « exclu de sa propre histoire. » Et ce qu’il dit se transforme en des propos racistes et violents vis-à-vis de son agresseur. N’avait-t-il pas subi de violences ce garçon dont le père avait quitté le pays pour vivre en foyer, lui qui n’avait pas su saisir la perche que lui tendait l’école pour s’en sortir ? Qui Edouard Louis avait-il eu en face de lui cette nuit-là sinon un double de lui-même, de ce qu’il aurait pu être lui aussi à peu de chose près. Alors, il ne supporte pas les mots des autres sur celui qui a failli le tuer, victime, lui aussi, finalement : « je ne pouvais pas entendre quelqu’un insulter Réda, j’ai eu envie de protéger Réda… » Le narrateur se méfie des mots, lui qui oscille entre « deux langues ennemies, deux cultures ». Quelle est celle qui dit le vrai, ce qu’il est ? La langue des déshérités, de ceux qui sont dépossédés du langage ou bien celle de l’institution, de la classe dominante ? Comment peut-on vivre au sein de cette dualité ? Etre à la fois Eddy Bellegueule et Edouard Louis ? Et pourtant, il faut dire, parler pour « s’arracher à son histoire » au risque de rouvrir la plaie à peine refermée, chaque mot prononcé étant une torture mais aussi une voie vers la vérité, « une nouvelle percée » vers la vie de celui qui, épuisé de douleurs, plié en deux sous le fardeau de la souffrance, est forcé de dire, lui qui aurait aimé se taire. Les paroles de Imre Kertész viennent conclure : « … en écrivant, je cherchais la souffrance la plus aiguë possible, à la limite de l’insupportable, vraisemblablement parce que la souffrance est la vérité, quant à savoir ce qu’est la vérité, écrivis-je, la réponse est simple : la vérité est ce qui me consume, écrivis-je. » Dire, écrire, souffrir pour s’exhumer et renaître, si c’est possible…

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rendez-vous manqué

Edouard Louis, la nuit de Noël, se fait draguer par un jeune kabyle, Reda, et lui propose de prendre un verre chez lui. S’en suit une nuit d’amour et de conversation intense. Suite au vol de son portable, le sexe s’est transformé en agression, puis en agression sexuelle. Edouard ira à l’hôpital, au commissariat porter plainte. La sœur d’Edouard participe à ce récit en racontant à son mari les évènements tels qu’elle les a compris. Je n’ai pas lu le premier livre de cet auteur. La curiosité est un (vilain ?) défaut et me voici avec Histoire de la violence entre les mains. Je n’ai éprouvé aucune empathie pour ce jeune homme et son histoire, tant le style m’a déplu. Les interventions de la sœur alourdissent la lecture. Je n’aime pas sa façon de vouloir faire populaire lorsque Clara raconte. J’ai senti son ambivalence entre ses sentiments restés vifs à l’égard du Reda du début et sa déposition à la police. L’impression qu’il a, à la fois, envie d’arrêter la plainte et le besoin de la maintenir « Je ne me doutais pas encore de l’intensité avec laquelle j’allais me détester d’être venu jusqu’au commissariat. » ou encore «Je ne voulais pas porter plainte, à cause de ma détestation de la répression, parce que je pensais que Réda ne méritait pas d’aller en prison. ». A trop vouloir se donner le beau rôle, Edouard Louis n’est pas crédible pour moi. Pourquoi se cacher pour écouter le récit de sa sœur ? Une discussion entre lui et lui-même qui ne m’a pas plu. Un titre qui appelait autre chose

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