critique de "L'orangeraie", dernier livre de Larry Tremblay - onlalu
   
 
 
 
 

L'orangeraie
Larry Tremblay

Folio
février 2015
160 p.  6,30 €
ebook avec DRM 5,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Enfances brisées

« C’est un très beau livre qui est brutal, qui est habité, qui est hanté, vraiment superbe » résume le romancier et journaliste Sorj Chalandon au dos de ce petit livre coup de poing. Son propos est d’une terrifiante actualité. Amed et Aziz sont frères jumeaux, petits bonhommes vivant sous les obus. Aziz est de santé fragile, victime d’une maladie qui le condamne à coup sûr, semblent croire les médecins qui le soignent. Zahed et Tamara, les parents, font au mieux pour faire vivre l’orangeraie familiale. Dans le village, un jour, un obus tombe et tue les grands-parents. Pour les venger, un jeune homme du village vient convaincre Tamara qu’elle doit « laisser » l’un de ses jeunes fils devenir un martyr. Que son fils de neuf ans doit porter une ceinture d’explosifs pour rendre justice. La transformation en enfant-soldat est asphyxiante pour le lecteur. Deux voix alternent sous la plume de Larry Tremblay, auteur québécois, celle d’Ahmed, puis celle d’Aziz quand il est jeune étudiant. Il doit interpréter un enfant-soldat en atelier théâtre…Un exercice qui le force à parler de son frère. De la violence. De la guerre. De la mort d’un jumeau et du contexte dramatique dans lequel elle survint. Faut-il le lire pour en débattre en famille, à l’école, avec ses enfants ? Cette fiction a reçu au Québec le prix des libraires et le prix littéraire des enseignants.

 

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Magnifique.

Amed et Azis sont jumeaux, ils ont neuf ans et vivent dans l’orangeraie plantée par leur grand-père Mounir. Ils auraient pu y vivre heureux à l’ombre des orangers si la guerre n’avait pas été présente. Azis est malade, son père Zahed l’emmène en ville à l’hôpital mais les nouvelles sont mauvaises; il a un cancer et n’a aucune chance de survie. Amed, lui entend des voix dans sa tête, il en a parlé à sa grand-mère. Tamara, la maman a une soeur Dalimah qui a migré aux Etats-Unis. Elle aimerait faire venir sa soeur et ses neveux mais c’est hors de question, Zahed ne veut pas qu’on en parle car elle a épousé un ennemi, un traître. Un matin, c’est l’horreur, la guerre les a rattrapés, la maison des grands-parents est réduite en cendres, une bombe. Zahed enterre ce qui reste de ses parents. Quelques jours passent et une jeep s’arrête devant la maison, c’est celle de Soulayed , un des chefs de la région. Il va demander l’impossible à Zahed : le sacrifice d’un de ses fils pour la communauté, un martyr. L’occasion d’accéder au Paradis par la grande porte en donnant sa vie pour la bonne cause. Quel dilemme pour un père. Peut-on sacrifier une vie ? quelle drôle de question . Azis et Amed quittent très rapidement le monde de l’enfance pour cette triste réalité. Tamara ne supporte pas l’idée de perdre ses deux fils. Azis est condamné et le choix de Zahed ne lui convient pas. Elle influera sur son fils afin qu’ils échangent leur rôle. Comment imaginer une seule seconde la situation ? Comment comprendre et juger la guerre, les sacrifices demandés au nom de la religion, du devoir ? Si nous y étions confrontés, quels seraient nos choix ? Comment réagirions-nous ? ce sont ces questions que l’on se pose à la lecture. Envoyer des enfants au nom de la religion, être fier d’en faire des martyrs alors qu’ils continuent à subir sur place. J’ai lu ce court roman avec mon regard de mère, le coeur serré, les yeux embués pensant aux parents qui n’avaient pas ou peu d’alternatives. Larry Tremblay nous tient en haleine jusqu’au bout avec un coup de théâtre magistral. Sa plume est à la fois directe et poétique et sensible pour nous dénoncer cette violence. Il n’y a que la littérature qui peut à ce point nous faire vivre poésie et cruauté, humanité et violence de la guerre. C’est aussi un récit sur la peur, le courage, la lâcheté. Un livre qui dérange, qui pose questionnement, réflexions et qui malgré tout nous suggère un air de paix. C’est tellement actuel, cela fait froid dans le dos, cette manipulation avec l’espoir d’une cause juste permettant l’accès au Paradis. Merci aux Julie’s de m’avoir intégré dans cette belle lecture commune.
Ma note : 9.5/10 Les jolies phrases La nuit des temps, maman m’a raconté, c’est la première nuit du monde. Il faisait si noir que le premier rayon de soleil qui a percé la nuit a hurlé de douleur. C’est plutôt la nuit qui a dû hurler, c’est elle qui a été transpercée. Ecoute-moi, j’ai deux fils. L’un est la main, l’autre le poing. L’un prend, l’autre donne. Un jour, c’est l’un, un jour, c’est l’autre. Je T’en supplie, ne me prends pas les deux. Et vous êtes partis à sa recherche comme si c’était la chose la plus précieuse au monde. Du papier et du vent ! J’imagine qu’il devait être fabuleux, votre cerf-volant. …. C’est notre grand-père Mounir qui l’avait fabriqué. Le parfum des fleurs est leur sang, lui avait dit un jour Shalina. Les fleurs sont courageuses et généreuses. Elles répandent leur sang sans se soucier de leur vie. Voilà pourquoi elles se fanent si vite, épuisées d’avoir offert leur beauté à qui veut bien la voir. A quoi ça sert de mettre au monde des enfants si c’est pour les sacrifier comme de pauvres bêtes qu’on envoie à l’abattoir ! La neige tombait toujours et enrobait le récit d’Azis d’une couche de protection, l’éloignant dans l’espace et le temps, lui donnant la texture d’un rêve fragile sur le point de s’évanouir. Les mots de Soulayed explosaient dans l’air comme des petites bombes fragiles qui laissaient derrière elles des traînées de silence. La récolte réjouit l’espoir, l’espoir repose sur le regard qui ne craint pas de voir la vérité. Le regard est comme l’oiseau, il a besoin d’ailes pour se maintenir en vol. Autrement, il tombe au sol, a continué Soulayed. Jamais nous ne devons baisser les yeux devant l’ennemi. Jamais. Notre haine et notre courage sont les ailes qui portent notre regard au-delà de la montagne, au delà du mensonge dont se nourrissent les chiens. Kamal et Zahed l’ont compris. Et leurs fils aussi l’ont compris. C’est bien que dans notre existence quelque chose arrive parfois à nous secouer, à nous sortir de nos banalités.

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Un récit qui serre le cÅ“ur, malheureusement d’actualité

Je me suis promis de lire des auteurs québécois, et je me suis retrouvée plongée dans la chaleur et la poussière du Proche-Orient…

Aziz et Amed sont jumeaux, copies conformes l’un de l’autre. Ils mènent une vie de jeux et d’insouciance sous le soleil, malgré la guerre autour de l’orangeraie familiale. Jusqu’à ce qu’un obus tombe et tue leurs grands-parents. Jusqu’à ce qu’un djihadiste vienne d’un village voisin et demande au père de choisir lequel de ses fils ira se faire exploser, de l’autre côté de la colline.

Qui choisir, et pourquoi? Comment convaincre leur mère qui, dès qu’elle a vu la voiture arriver, a compris que sa vie allait basculer? Comment vont vivre ces enfants, celui qui devra partir et celui qui restera, celui qui ne sera plus là pour affronter et celui qui se demandera toujours « pourquoi lui, pourquoi moi »? Comment se résoudre à sacrifier son enfant, même pour une cause que l’on croit juste? Comment vivent ceux qui restent, après?

C’est implacable, autant que les rayons du soleil frôlant les orangers. C’est absurde, autant que cette guerre dans laquelle on finit par ne plus savoir qui sont les gentils ou les méchants. C’est glaçant, autant que cette scène hallucinante qui voit deux gamins de 9 ans jouer à nouer autour de leur taille une ceinture d’explosifs. C’est interpellant, parce qu’on est face à ce père qui accepte calmement le sacrifice qui lui est demandé et qui réfléchit posément au choix qu’il devra (im)poser.

J’ai trouvé ce roman extraordinaire, dans sa façon de mêler la douceur de l’enfance et la noirceur de la guerre, la sobriété de la plume et la violence de l’histoire. Je m’y suis totalement immergée, et je l’ai lu d’une traite, émue, touchée, révoltée et dégoûtée pour tous ces enfants qui n’ont pas eu la chance de naître au bon endroit, pour ces populations qui vivent dans des lieux magnifiques et irrémédiablement gâchés par la connerie, le goût de guerre, le désir de conquête.

L’orangeraie est un roman qui résonne tristement avec l’actualité de ces derniers mois, dans ce monde où on envoie maintenant des enfants se faire exploser, au nom d’un dieu ou de l’honneur. Difficile de parler de coup de cÅ“ur face à ce court roman. Un coup au cÅ“ur, plutôt. Et au creux de l’estomac. Bon sang que l’homme peut être détestable…

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