La Sainte Famille
Florence Seyvos

Points
août 2016
192 p.  6,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Enfance amère

Pour Florence Seyvos, l’enfance n’a rien d’un « vert paradis », et c’est en archéologue qu’elle fouille ce pays dont les jeunes habitants devront, c’est la règle, s’exiler tôt ou tard. En attendant, ils en explorent les régions, en inventent les règles et voudraient quelquefois s’enfuir avant l’heure.

Au centre des souvenirs, il y a une maison de famille avec un lac en contrebas où, enfants, Suzanne et son frère Thomas passaient leurs étés. Bien qu’elle soit inhabitée depuis longtemps, il arrive encore à la jeune femme de téléphoner à la maison ; elle imagine la sonnerie résonner dans les pièces, arpenter les couloirs, monter les escaliers, et revenir hanter la propriété de sa grand-mère Marthe, autoritaire et fragile, et de la gentille et timorée grand-tante Odette.

Petites madeleines

Ce territoire est un peu la madeleine de Suzanne et Thomas, qui en tirent le fil de leurs souvenirs pour recomposer le tableau familial, auquel l’auteure travaille par petites touches saillantes, grinçantes ou ironiques, par chapitres courts et dialogues secs où viennent s’ancrer les scènes fondatrices, jeux d’enfants défigurés par la perversion. Il y a une grande intelligence de la narration, dans laquelle l’enfant d’alors agit et s’observe dans le même temps, comme dédoublé, un peu à la manière de Nathalie Sarraute dans « Enfance ».

De l’anecdote à la névrose

Chantages de gamins, blessures internes, humiliations d’écoliers et petits larcins : pourquoi ces anecdotes se gravent-elles en nous, provoquant nos névroses d’adultes ? Parce que ce temps est cruel, que la peur l’habite, que la honte et parfois la mort se chargent de déniaiser les êtres. L’impuissance des générations à se comprendre conduit les enfants à mentir, les parents à arranger la vérité et imposer leur volonté. La dépression de la mère, le divorce, la violence de l’instituteur, le regard vicieux de l’oncle alcoolique, tout est repassé au tamis de la mémoire intransigeante. Or, la tonalité d’ensemble est mélancolique, nostalgique même : c’est un désir impossible de la permanence qui habite le frère et la sœur devenus des « grands », douloureusement conscients des instabilités héréditaires.

Avec une plume très délicate, acérée et sans complaisance, Florence Seyvos met au jour ces souvenirs d’enfance qui ont souvent un goût d’injustice, de dégoût et de blasphème, mais qui malgré tout nous attirent et vers lesquels on se retourne, anges déchus que nous sommes.

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