Le Double portrait
George Pelecanos

Traduit par Mireille Vignol
Le Livre de Poche
mars 2014
336 p.  7,10 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Pelecanos, un homme en colère

Longtemps, George Pelecanos a été reconnu comme l’auteur de « King Suckerman », « Drama City » ou des « Jardins de la mort », écrivain emblématique d’un Washington à la noirceur ignorée. Ses romans, qui sondent les bas-fonds criminels de la capitale fédérale, sont désormais ceux du « scénariste de The Wire ». Un label hérité des années 2000 où il collabora à l’écriture de cette série policière sacrée comme la meilleure de l’histoire de la télévision.

Un romancier, aujourd’hui, existe aussi par l’image. « The Wire » a fait son bonheur, sa notoriété, voire sa tranquilité financière. Eclaboussé comme Dennis Lehane et Richard Price par le succès d’estime de ce programme audacieux, il a pourtant semblé y laisser des plumes. Les livres qui ont suivi cette saga politico-criminelle sur Baltimore l’ont révélé tatonnant, cherchant un ton, une inspiration et des certitudes dans son parcours personnel de fils d’immigrés grecs.

Si Pelecanos s’est égaré, cela n’a pas duré. Tout en force brutale, « Le double portrait », son dix-huitième titre en autant d’années, confirme tout le potentiel de son nouveau héros récurrent Spero Lucas, découvert l’an dernier dans « Une balade dans la nuit ». Enquêteur privé au service d’un avocat, le personnage offre une mobilité et une liberté de mouvement que n’aurait pas un inspecteur de police. Il force les portes dans tous les quartiers, fréquente des bars de luxe et d’autres moins reluisants, observe les rues et la campagne lorsqu’il entretient sa musculature à vélo ou en kayak.

Relais idéal pour ausculter les malaises urbains qui obsèdent l’auteur, ce trentenaire sportif et séducteur a sa part d’ambivalence : son look soigné masque mal ses traumatismes d’ancien combattant en Irak. Spero Lucas cajole sa mère veuve depuis peu, couve son jeune frère adopté comme lui et tombe raide dingue d’une quadra mariée mais il traverse comme une bombe à retardement ces trois enquêtes parallèles (un vol de tableau, deux meurtres non élucidés).

A petites touches, George Pelecanos fait sentir sa rage mal contenue, sa tentation de franchir la ligne jaune. Homme d’un naturel réservé, d’une grande culture musicale, père de famille solide, le romancier signe paradoxalement un polar dur, macho, sans sous-entendu ni deuxième degré, électrisé par des flashes de sexe et de violence. Du « hard-boiled » maîtrisé avec intelligence, qui le réinstalle au premier plan. 

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