PALAIS DE GLACE
Tarjei Vesaas

Traduit par Jean-Baptiste Coursaud
GF-Flammarion
septembre 2014
190 p.  5,90 €
 
 
 
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coup de coeur

Un conte venu du froid.

Peu d’auteurs comme l’écrivain norvégien Tarjei Vesaas (1897-1970) ont su dépeindre avec autant de grâce le monde de l’enfance, à la fois cruel et magnifique. Dans « Le Palais de glace », publié pour la première fois en 1963 dans son pays, Tarjei Vesaas explore, à la manière d’un conte symboliste, les sinuosités impénétrables des cœurs enfantins, voyants rimbaldiens qui se fraient un chemin jusqu’aux confins d’une réalité souvent impitoyable, avec leur innocence pour seul étendard.

Dans une contrée nordique déjà envahie par le gel en ce début d’automne, Siss, une fillette vive et lumineuse, écolière populaire, voit avec curiosité l’arrivée d’une nouvelle élève prénommée Unn, qui habite au village avec sa tante depuis la mort de sa mère. Siss voudrait bien en savoir davantage sur cette enfant différente, timide et silencieuse, qui ne se mêle jamais aux jeux du groupe dont elle est la meneuse. Elle pressent que gagner son amitié serait un privilège considérable. Ainsi, le jour où, dans un échange de petits papiers qui traversent la classe de mains en mains, Unn invite Siss à venir lui rendre visite, cette dernière est tout à la fois excitée d’avoir été élue et anxieuse à l’idée de se retrouver avec Unn seules ensemble, après plusieurs semaines de conjectures et d’observations mutuelles. Le soir de la fameuse rencontre, Siss court plutôt qu’elle ne marche vers la maison de sa nouvelle amie, enveloppée par la nuit glacée. Immédiatement, Unn et Siss se découvrent une complicité qui se passe de mots : quatre yeux dans un miroir et le sort est jeté entre leurs deux cœurs qui se fondent l’un dans l’autre, projetant des éclairs et des lueurs sur leur trouble respectif. La magie de la reconnaissance d’autrui comme son double et son envers les transforme toutes deux instantanément et engendre un respect sérieux de grandes personnes et une promesse tacite de taire l’intensité de leur coup de foudre amical.
Le lendemain de cet engagement profond, Unn décide de faire l’école buissonnière, trop bouleversée par le nouveau sentiment qui l’emplit tout entière. Elle s’en va faire une promenade du côté de la cascade qui, par temps de gelée, se métamorphose en véritable palais de glace. Le cœur pétri de son secret tutélaire, Unn s’aventure dans les méandres éphémères de ce château de conte de fées qui se referme sur elle. Endossant le caractère intrépide de Siss, Unn bouleverse l’équilibre du monde à ses risques et aux périls de son amie. A sa disparition, et pour se protéger de l’irruption fracassante de la réalité implacable dans son univers, Siss entre en dormance jusqu’à la saison de la fonte des glaces, quand tout se dissout et que la vie peut recommencer.

Dans « Le Palais de glace », devenu un classique de la littérature norvégienne, la première véritable amitié enfantine est aussi importante que le premier amour ; sa gravité est à l’image de son intensité, et rien ne peut percer son secret intrinsèque. Dans un décor de conte de fées, où tout possède sa vie propre, ce roman éminemment poétique convoque les légendes du froid et sonde les profondeurs de l’enfance, exposée aux émotions qui emprisonnent et laissent leurs empreintes à vie dans le souvenir des âmes délivrées.

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