Le piège de Vernon
Roger Smith

Traduit par Elsa Maggion
Livre de poche
janvier 2014
450 p.  7,60 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Ni blanc, ni noir

Au rayon polar, Deon Meyer n’est plus seul à porter les couleurs de l’Afrique du Sud. Au côté du « Michael Connelly du Cap » (Meyer est surnommé ainsi car l’Américain Michael Connelly et lui sont amis et partagent une étonnante ressemblance physique), auteur majeur du genre, il faut compter depuis peu avec Roger Smith, qui impose une toute autre sensibilité. Si le Deon Meyer de « 13 heures » et de « A la trace » prétend juste divertir et ne revendique aucun message, il dépeint néanmoins un pays où policiers blancs et noirs s’accordent sur l’essentiel, surmontant leurs rancoeurs et leurs rivalités face au crime, aux gangs et à la corruption. Un pays qui a, depuis la fin de l’apartheid, accompli du chemin. Roger Smith, lui, tend à appuyer sur les points douloureux : une violence endémique et des barrières qui restent infranchissables. Le verre à moitié vide.

Après « Mélanges de sangs » (2011), « Blondie et la mort » (2012) et « Le sable était brûlant » (2013), « Le piège de Vernon » vient illustrer sa vision sceptique de la nation arc-en-ciel chère à Mandela. L’action du roman navigue entre deux lieux symboliques extrêmes : un complexe de villas hyper-sécurisé en bord de mer et une banlieue-ghetto où s’alignent taudis et bars de nuit. Les blancs aisés chez eux, les noirs pauvres « de l’autre côté de la voie ferrée », comme au temps de la ségrégation. Et lorsqu’ils se croisent, les rapports restent codés, voire conflictuels.

Vernon Saul est ainsi l’un des vigiles supposés veiller, dans ce ghetto pour riches, à la sécurité de la petite famille de Nick Exley. Tous deux ont la trentaine. Le Blanc est un globe-trotteur de l’informatique dont on s’arrache les talents. Le Noir a grandi dans un bidonville, sa mère n’a pas su le protéger des abus de son père : une bombe humaine à retardement. Lorsqu’il voit la petit Sunny Exley en train de se noyer, sachant la mère avec son amant et le père en train de fumer un joint, il laisse faire pour mieux manipuler les parents ensuite.

L’intérêt d’un roman policier tenant beaucoup à la qualité du méchant, ce « Piège » se révèle diabolique, car Vernon le psychopathe ne recule devant aucune bassesse. L’auteur rend l’affaire plus subtile que cela en lestant la barque de Nick, qui n’a que sa lâcheté à opposer à la santé mentale vacillante de son épouse. Roger Smith lâche entre les deux hommes la magnifique Dawn, jeune mère célibataire issue des bidonvilles, et qui résiste tant bien que mal à l’engrenage drogue- prostitution. Le personnage catalyse l’opposition entre Nick et Vernon : par delà les couleurs de peau, aucun d’eux n’est totalement blanc ou noir.

L’affrontement est violent, mais conduit avec brio. Roger Smith a l’art de faire ressentir et comprendre les états d’âme de ses personnages sans avoir à les décrire. La plongée dans le ghetto est éprouvante, mais jamais gratuite. L’auteur ose montrer l’abjection pour mieux souligner combien la part d’humanité en chacun est fragile. Il sait aussi de quoi il parle, sa propre femme ayant réchappé à l’enfer du ghetto, à l’image de Dawn. Après les festivaliers de Quais du Polar, qui l’ont approché en 2011 et 2013, son talent a déjà conquis les lecteurs allemands et américains. La possible adaptation à l’écran de « Capture », son quatième roman, dont un studio hollywoodien a acheté les droits, pourrait le faire changer encore de dimension.

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