L'île du point Némo
Jean-Marie Blas de Roblès

Points
août 2014
469 p.  8,10 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le roman de tous les romans

Pour lire et apprécier à sa juste valeur ce roman tourbillonnant de Jean-Marie Blas de Roblès, il faut se plier à deux conventions : la première est de laisser rejaillir son âme d’enfant dans toute sa capacité d’émerveillement. La seconde est d’accepter d’être le jouet docile et consentant de l’auteur qui manipule allégrement son lecteur au même titre que ses personnages dont il est l’habile marionnettiste. Une fois ces règles du jeu acceptées, préparez-vous à un moment unique de lecture, d’évasion, d’enchantement et de franche hilarité. Vous allez découvrir l’un des livres les plus originaux de cette rentrée. Le roman de tous les romans.

«L’île du Point Némo» démarre dans la plaine de Gaugamèles (Nord de l’Irak actuel) en 331 avant Jésus Christ, lors de la plus célèbre bataille de l’Antiquité qui oppose Alexandre Legrand au Perse Darius. Vous croyez avoir entre les mains un livre sur les guerres macédoniennes, mais il n’en est rien. Même si ce thème ne vous passionne pas, poursuivez votre lecture. Ces armées ne sont que de plombs et leurs déplacements le fruit de l’imagination ludique de Martial Canterel, richissime dandy opiomane.  Alors qu’il est en pleine reconstitution dans son salon, le voilà interrompu par la visite impromptue de son vieil ami Holmes (pas Sherlock mais John Shylock), qui l’informe que le fabuleux diamant « l’Ananké » appartenant à leur relation commune Lady MacRae vient d’être dérobé.  C’est le plus gros diamant jamais exhumé d’une mine terrestre, pas moins de 800 carats.  Et là où l’affaire se corse, c’est que trois pieds droits amputés, de pointures différentes, chaussés de basket de marque Ananké (Destin pour les Grecs) ont été retrouvés au même moment près du château en Écosse de leur amie. Holmes convainc Canterel, qu’il appelle affectueusement « old chap », de partir avec lui mener l’enquête.

Vous vous croyez alors embarqué dans un fabuleux et très efficace roman d’aventures à la croisée de Jules Verne et Blake & Mortimer. Pas du tout! Par un habile et subtil jeu de bascule, vous découvrez que vous êtes dans un livre dans le livre. En réalité (s’il y en a une!)  vous vous trouvez dans le Périgord noir, dans une usine d’assemblage de liseuses électroniques. Son directeur chinois Wang-Li Wong a décidé, pour accroître la productivité de ses ouvrières, de perpétuer une tradition issue des fabriques de cigares aux Caraïbes : leur faire lire à voix haute des romans dans la veine des feuilletonistes du siècle passé. Les tribulations de Canterel, Holmes et Cie sont en fait celles qui leur sont racontées sur les chaînes de montage.

Cette mise en abyme n’est pas la seule et pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture nous ne vous en dirons pas plus sur ce jubilatoire jeu littéraire en trompe-l’œil. Jean-Marie Blas de Roblès possède tous les moyens de ses ambitions. Son style élégant, précis, très imagé, se met au service d’une construction narrative en fusion, où jamais le lecteur ne se perd, malgré les changements d’aiguillage intempestifs de l’auteur. Il a l’art de faire dérailler volontairement son récit jusqu’à nous proposer des chapitres «porno-trash ». Mais là aussi d’un point de vue littéraire ça s’explique…

Avec leur maquette joliment graphique, la qualité du papier, la carte de couverture duveteuse, les Editions Zulma offrent à ce texte un écrin raffiné qui sied parfaitement au style dandy chic de Roblès et au propos qu’il défend. Car bien plus qu’un roman d’aventures et de mystères, « L’île du Point Némo » développe en cette période de virtualisation du livre une profonde réflexion sur l’art littéraire au sens large et sur les dangers qui le menacent à l’ère du numérique. Y est posée une question essentielle: « que reste-t-il dans nos mémoires, sinon un résumé flou et poussiéreux, de ces livres qui ont bouleversé notre existence? ».  À méditer old chaps !

 

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Merci Monsieur Blas de Roblès !

Ce livre est un cadeau et un défi. Une déclaration d’amour à la littérature, une invitation à laisser libre cours à son imaginaire. Un cadeau pour les yeux avec sa magnifique couverture aux motifs hallucinatoires, comme pour mettre le lecteur en condition avant de le jeter dans la grande aventure des mots. Un cadeau pour l’esprit, de ceux qui font tourner les pages et s’émerveiller au vu d’une telle imagination et d’une telle verve romanesque. Mais ce livre est un défi pour qui s’avise de vouloir le raconter…

Une chose est sûre, mieux vaut avoir gardé un peu de son âme d’enfant et une certaine nostalgie pour les histoires de Jules Verne et consorts. Ici, pas de littérature réaliste, rien de factuel, rien à voir avec les récits contemporains autocentrés qui peuplent les rayons des librairies. Il faut être prêt pour l’aventure, ouvert à toutes les invraisemblances, bref, il faut être prêt à croire. L’auteur brouille tous les repères, empruntant au passé et au futur, au gré de sa fantaisie. Le lecteur, lui, se laisse prendre au jeu, curieux de savoir comment les fils narratifs vont se rejoindre. Il se laisse faire, pas tout à fait dupe, ravi de retrouver un peu de cet émerveillement de l’enfance, cette période où les adultes inventaient pour lui les histoires les plus extraordinaires.

« Toute phrase écrite est un présage. Si les événements sont des répliques, des recompositions plus ou moins fidèles d’histoires déjà rêvées par d’autres, de quel livre oublié, de quel papyrus, de quelle tablette d’argile nos propres vies sont-elles le calque grinçant ? »

Nous suivons donc le périple de Martial Canterel, une sorte de dandy accro aux substances illicites et son ami Holmes (John Shylock), descendant de l’illustre détective mais employé chez Christies au service des restitutions. Les deux hommes se lancent sur la piste d’un énorme diamant, l’Ananké dérobé à Lady Mc Rae qui se trouve être une ancienne amie de Canterel avec lequel elle a même eu une fille qui malheureusement joue la belle au bois dormant depuis huit ans. Flanqués de leurs assistants respectifs, Miss Sherington et Grimod de La Reynière, croustillants personnages, les voilà partis à la poursuite d’un criminel à la renommée internationale, l’Enjambeur Nô dans un périple qui les mène sur terre, dans les airs et sur les mers jusqu’à l’Ile du Point Nemo, perdue au milieu de nulle part et ne figurant sur aucune carte. Pendant ce temps, les employés d’une ancienne fabrique de cigares dans le Périgord subissent les aléas de la conjoncture économique qui transforme leur entreprise en usine de liseuses électroniques, B@bil Books. Le directeur, M.Wang a décidé de maintenir la tradition, importée des Caraïbes par les cigarières venues former les employées françaises, de lecture à voix haute rythmant ainsi le travail dans l’usine qui tourne à plein régime en vue des fêtes de fin d’année.

Rassurez vous, tout ceci est parfaitement logique et peu à peu, la lumière se fait jour dans l’esprit du lecteur. C’est une véritable prouesse narrative à laquelle se livre Jean Marie Blas de Roblès qui ne se contente pas de laisser libre cours à son imagination mais campe des personnages hauts en couleur, effleure nombre de questions de société et de gouvernance et se moque gentiment des esprits claniques. Il rend un hommage appuyé aux livres, aux histoires et aux écrivains qui ont su les mettre en musique et les inscrire dans quelque chose qui ressemble à un imaginaire collectif.

Franchement, c’est magistral et, vous savez quoi ? Ce bouquin mériterait de se trouver aux pieds de tous les sapins du prochain Noël !

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coup de coeur

Magistral !

Quel talent !
De deux choses l’une, soit Jean-Marie Blas de Robbles est le fils spirituel de Stevenson et Jules Verne, soit il a consommé des champignons hallucinogènes sur l’île du point Nemo pour oser nous servir une histoire aussi délirante et réussir à le faire avec un tel brio !
Deux mots de l’histoire, pas plus, car résumer ce livre est impossible.
Tout commence avec un somptueux diamant l’Ananké volé à une lady anglaise.
Aussitôt prévenu Martial Canterel flanqué de son fidèle complice et ami John Shylock Holmes se lance à la recherche du joyau.
Nous voyageons à bord du Transibérien, visitons la Russie, la Chine, pour arriver sur l’île du point Nemo.
Impossible de ne pas parler des personnages, de quelques-uns seulement car autant vous dire qu’il y en a autant dans le livre que dans le Transibérien.
Je vous dirai quelques mots de mes préférés.
Mr Wang, un chinois vivant dans le Périgord patron de B@bilbook, usine d’assemblage de liseuses numériques, colombophile passionné à ses moments perdus.
Dulcie Présage, haïtienne qui découvre les livres dans une fabrique de cigares qui ont pour noms : Jean Valjean, Rastignac ou Salambô.
Carmen Bonacieu, en manque de sexe ne trouve rien de mieux pour guérir l’impuissance de son époux que de lui appliquer des abeilles sur le zizi. Souffrance assurée pour le pauvre garçon, pour un résultat pas très convaincant, vous vous en doutez.
Il y en a tellement d’autres, tous plus déjantés les uns que les autres.
La grande force de se livre est de nous emmener dans une aventure improbable, avec des péripéties multiples sans nous perdre en chemin.
Les protagonistes trouvent leur place au bon moment.
Un livre que je n’ai pu lâcher. Pas une minute d’ennui. Le sourire aux lèvres en permanence, parfois de grands éclats de rire, que demander de plus.
J’ai aimé « là où les tigres sont chez eux » et j’ai adoré « lîle du point Némo ».
Un merveilleux remède contre la morosité ambiante !

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