Lola Bensky
Lily Brett

Prix Medicis étranger 2014 Traduit par Bernard Cohen
10-18
mai 2014
310 p.  7,50 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Enfant du rock et de la shoah

« Lola n’avait pas le temps d’être triste. Elle était trop occupée à être de bonne humeur ».  Et pourtant fille de survivants d’Auschwitz, Lola a grandi avec la mort qui plane au-dessus de sa tête, ses parents ne parvenant pas à retrouver cette part d’eux-même anéantie dans les camps, où toute leur famille a été exterminée. Fin des années 60, à l’âge de19 ans, Lola fait le pari de la vie et de l’avenir. Elle quitte son pays, l’Australie, pour Londres puis New York, où elle interviewe les stars montantes du rock pour le journal « Rock-out ». Et c’est un comble, car elle n’a pas l’oreille musicale du tout et n’aime pas quand ça joue trop fort.  Mais elle a un goût profond pour les autres et plus particulièrement pour découvrir les faces cachées de ces personnalités hors du commun, dont le côté « star » fait habituellement écran. C’est ainsi qu’entre naïveté, futilité et gravité elle parle bigoudis avec Jimi Hendrix, de soupes au chou du gettho de Lodz avec Mick Jagger, de double faux cils à paillettes avec Cher, de cœur blessé avec Cat Stevens qui lui confie avoir « désespérément envie d’aimer quelqu’un », de régimes amaigrissants avec Mama Cass. Tant de rencontres inattendues, parfois dérangeantes et angoissantes – comme avec Jim Morrison – mais toujours fascinantes et surtout inoubliables.

Bien que romancés par le souvenir, tous ces instants pleins de grâce de ce livre très attachant tirent leur force du fait qu’ils ont tous réellement existé. Car Lola Bensky c’est Lily Brett elle-même, dont c’est le premier texte traduit en France. Elle s’y raconte à travers son double de papier – qui porte ses initiales-  sur son parcours de journaliste rock, de femme. C’est dans les propos qu’elle prête à la divine Janis Joplin que Lily Brett nous donne le secret de son ouvrage qui nous bouleverse à plus d’un titre. Ce qu’elle nous livre et qui touche nos cordes sensibles, ce sont « des trucs qui n’ont pas leur place dans une conversation entre gens bien élevés ». Elle ne passe pas par quatre chemins pour nous confier, à travers les va-et-vient du souvenir, que les morts de sa famille lui collent à la peau, que justement cette peau l’encombre avec beaucoup de kilos en trop et tous ces régimes qui l’obsèdent, qu’il est aussi difficile de vaincre ses crises d’attaque de panique même après des milliers de séances chez le psy. Mais que malgré tout, la vie va, il faut garder la Vista. Elle nous rappelle ce que lui répétait sans cesse sa mère Rénia: «  il ne suffit pas de survivre, il faut survivre en restant humain ». Et c’est cette humanité-là qui transpire à chaque page. Car Lily s’attache à vivre en restant profondément humaine avec ses joies et ses peines.

 En fait, Lola/Lily c’est un peu la grande sœur de Lena Duham la géniale réalisatrice de « Girls », mais  avec un ego moins hypertrophié. Comme elle, c’est en regardant les choses en face et en les affrontant avec humour que l’on peut s’en sortir en prenant le parti d’en rire.  Et on rit beaucoup dans ce livre, tout autant des rencontres improbables avec des rocks stars que des scènes excessives de délire de cette attachante « jewish family ». Quand on demande à Lola si elle est juive, invariablement elle répond « très juive ». Et pourtant, ses connaissances sur le sujet sont plus que limitées, ses parents étant fâchés avec Dieu après Auschwitz, ils ne pratiquent aucune fête, ne vont jamais à la synagogue. Mais Lola n’est pas à une contradiction près et l’assume.

Voici un livre aussi léger que profond à ne surtout pas rater sur les crépuscules de notre histoire liée à la Shoah et le crépuscule de ces dieux du rock presque tous disparus avant l’âge de trente ans au sommet de leur intelligence, de leur créativité et de leur vitalité: Brian Jones, Otis Redding, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Keith Moon, Mama Cass … Rock et Shoah, il fallait oser et Lily Brett l’a fait.

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