Madame
Jean-Marie Chevrier

Le Livre de Poche
août 2014
192 p.  6,60 €
 
 
 
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coup de coeur

Un roman envoûtant

Madame de la Villonière descend d’une lignée d’aristocrates. Veuve depuis longtemps, elle mène encore de main de maître le domaine de ses ancêtres – dans la Creuse -, une main de fer dans un gant de velours. Vieillissante, sa vigueur d’antan s’amoindrit tout de même. Elle vit dans son château qui chancèle jour après jour sous le poids des ans et le manque d’entretien, car les finances de Madame sont au plus bas. Seul un couple d’employés s’occupe de ses terres. Ils habitent dans une petite ferme en contrebas du château avec leur fils unique, Guillaume, bientôt âgé de quatorze ans.
Madame, solitaire, n’est guère entourée ; son mari est décédé dans un absurde accident de barque, son enfant Corentin a sombré également dans le sommeil éternel (Madame se dérobe toujours lorsqu’on l’interroge sur l’origine de sa mort), la servante Alexandrine fait en revanche partie des murs depuis des lustres, quant à son frère, médecin de son état, il a quitté le domaine familial dès qu’il a pu avec plaisir, n’ayant jamais aimé ce lieu – des peurs enfantines le hantent encore -, il réside aujourd’hui dans la capitale sur les hauteurs de Chaillot, où il se sent enfin en sécurité.
Madame semble évoluer dans un monde d’un autre temps ; ses robes sont longues et sombres, elle conduit une Renault Frégate Grand Pavois 1956, chasse le ragondin, tue les poulets, fume des gauloises et consomme, parfois avec excès, de l’alcool, aime la littérature et les poèmes… Son humeur est changeante, son regard brumeux, ses gestes volontiers impétueux, ses mots dures…
Madame est une personne originale. Tellement étrange que le jeune Guillaume est fasciné par elle. Une attraction qui paraît aller dans les deux sens puisqu’elle a décidé de prendre ce dernier sous sa coupe afin de lui parfaire son éducation. Un enseignement à l’ancienne fondé sur la grammaire, les grands textes littéraires, les mathématiques ainsi qu’un brin de spiritualité. L’adolescent se rend donc chez Madame chaque mercredi au grand dam de ses parents qui voient cela d’un mauvais oeil… mais difficile pour eux d’aller à l’encontre des idées de Madame. Guillaume se retrouve ainsi déchirer entre ces adultes. En quête d’un équilibre, il cherche désespéremment un éclaircissement, une lueur, une échappatoire : la liberté en somme.
Madame n’hésite pas à le « rebaptiser » Willy, à lui faire quelques confidences, et va même envisager de faire de lui son héritier…
D’une écriture ciselée, belle, et poétique de facture classique, l’auteur entraîne le lecteur dans une histoire, un conte presque, à l’atmosphère lourde et mystérieuse dont il va pourtant finir par se dégager une lumière. La tension est palpable tout au long du roman, on devine que quelque chose va arriver. Une ombre plane sur le domaine. Insidieusement, un drame se prépare. Un enchevêtrement de désarroi et de tristesse, d’un temps révolu et d’un passé pourtant très présent, de la fougue de la jeunesse et de la froideur de la vieillesse, d’amour maternel et d’émancipation, de vie et de mort, d’esprit machiavélique et de nature triomphante… Un coup de coeur pour ce roman envoûtant.
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