critique de "Me voici", dernier livre de Jonathan Safran foer - onlalu
   
 
 
 
 

Me voici
Jonathan Safran foer

traduit de l'anglais par Stéphane Roques
Points
Littérature étrangère
septembre 2017
768 p.  9,10 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Vivre ou être heureux

Après son génial « Extrêmement fort et incroyablement près », on attendait le retour de Jonathan Safran Foer romancier depuis plus de dix ans. Le résultat est à la hauteur de nos espérances avec ce beau roman foisonnant et sensible sur l’érosion du couple contemporain.

La fin d’un mariage

Jacob et Julia Bloch, la quarantaine, sont mariés depuis seize ans et parents de trois garçons. Ils vivent confortablement à Washington où elle est architecte, et lui écrivain et scénariste. Ils sont juifs, mais ne pratiquent qu’aux grandes occasions. Un jour, Julia découvre des textos pornographiques que son mari a envoyés à une collègue. C’est le début de la fin, ou plutôt le révélateur des dysfonctionnements de leur couple en bout de course. Parallèlement, un séisme de grande magnitude secoue la région du Moyen-Orient, déclenchant une guerre entre Israël et ses voisins arabes, ce qui donne à toute la famille Bloch l’occasion de s’interroger sur son identité ; qu’est-ce qui fait qu’on appartient à une communauté, à un pays ? La question juive rejoint celle du couple : peut-on habiter un concept comme le bonheur ou la judaïté ?

Un roman monde

Toutes les générations ont la parole, des enfants aux parents, en passant par les grands-parents, l’arrière-grand-père, ou les cousins israéliens en visite, et l’énergie circule grâce à un art consommé du dialogue. Soulignons que l’auteur porte une attention particulière au langage et à la communication, qui impliquent l’interprétation des êtres et de la réalité. Jacob est un homme qui doute, s’abstient et se satisfait de son insatisfaction, tandis que Julia met au jour ses propres désirs, enfouis sous la gestion du quotidien conformiste ; car malgré la crise conjugale, la vie continue, il faut prosaïquement s’occuper des enfants, sortir le chien, vider le lave-vaisselle… Le comique jaillit au milieu de la mélancolie inhérente à la fin de l’histoire d’amour, avec son lot de souvenirs et de projections, le tout convergeant vers un rapport au temps et au monde, avec lesquels les aspirations secrètes s’accommodent comme elles peuvent. En résumé, le grand roman américain de cette rentrée est un bonheur de lecture !

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 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

« Être ou ne pas être. Là est la question. Être *et* ne pas être. Là est la réponse. »

« Mon ethos, c’est : « Trouve la lumière dans la beauté de la mer, je choisis d’être heureux. »
– C’est un merveilleux ethos, Max.
– C’est les paroles d’une chanson de Rihanna.
– Alors, Rihana est clairvoyante.
– C’est pas elle qui a écrit la chanson.
– Celui qui l’ écrit l’est.
– Sia.
– Dans ce cas, Sia est clairvoyante.
– Et c’était une blague, en fait.
– D’accord. »

Washington, 2016, une famille : les Bloch. Jacob est scénariste tv, Julia architecte, trois fils, un chien. Sur le point d’exploser.
Quand on entre dans ce roman, sans en savoir quoi que ce soit, les deux cent premières pages sont un aspirateur ultra puissant. Impossible de lâcher le roman, vraie nuit blanche – extrêmement rare, EXTREMEMENT. Tout de suite, on sait qu’on est en train de lire la sincérité brute, le décorticage en règle d’une pensée vraie. Au fond, il n’est question que de deux choses dans ce roman : un divorce, et la judéité.

« Et lui, Sam, courait toujours après quelque chose; il en avait besoin. Quel était ce sentiment ? Il avait à voir avec la solitude (la sienne et celle d’autrui), avec la souffrance (la sienne et celle d’autrui), avec le sentiment de culpabilité (le sien et celui d’autrui), avec la honte (la sienne et celle d’autrui), avec la peur (la sienne et celle d’autrui). Mais aussi avec une croyance obstinée, une dignité obstinée, une joie obstinée. Et pourtant, ce n’était rien, ni la somme de tout cela, précisément. C’était le sentiment de judéité. Mais en quoi consistait ce sentiment ? »

Mais mille choses sont pourtant abordées, d’une plume ravageuse et brillante – tellement brillante. Aucune linéarité – mais jamais on ne s’égare. Ca fourmille d’éclairs de génie, de dialogues ultra drôles, ça lacère de douleur. On s’enlise aussi un tout petit peu dans des pistes dont on questionne l’utilité, mais même les cotés moins plaisants de cette brique hallucinante captivent. Parfois, on a du mal à s’y remettre, on se lasse un petit peu de ce qui ressemble tout de même à une certaine mollesse du personnage principal, on aimerait pouvoir se détacher mais jamais on n’y parvient. Un roman qui ne ressemble à aucun autre et dont il est impossible de parler sans dévoiler une part de son âme – ce à quoi je ne me risquerai pas. Une merveille.

« Il n’est pas déprimé, dit Irv. Il est vieux. L’âge prend l’apparence de la dépression, mais n’en est pas une.
– Pardon, fit Jacob. J’oubliais : personne n’est jamais déprimé.
– Non, c’est moi qui m’excuse. J’oubliais que tout le monde est toujours déprimé.
– J’imagine que c’est une pique contre ma thérapie ?
– Tu as quelle ceinture, de toute façon ? Marron ? Noire ? Et à la fin tu gagnes quand tu te la passes autour du cou ? »

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