Orfeo
Richard Powers

traduit de l'anglais par Jean-Yves Pellegrin
10-18
août 2015
429 p.  8,40 €
ebook avec DRM 17,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Sur un air de soupçon

Dix ans après le magistral Temps où nous chantions, Richard Powers revient sur la scène littéraire avec ses thèmes de prédilection. Dans Orfeo, son dernier livre, un personnage est contraint, au soir de sa vie, à déchiffrer une partition impromptue, incarnant ainsi les aspirations d’un auteur ambitieux et brillant, fasciné à la fois par la chimie et la musique.

Dans une petite ville universitaire de Pennsylvanie, Peter Els, compositeur septuagénaire raté, donne des cours d’histoire de la musique pour retraités. Parallèlement, il s’adonne à un passe-temps scientifique ; dans sa cuisine transformée en laboratoire du parfait petit chimiste, il manipule des cellules et combine des génomes dans l’espoir d’en faire jaillir de la musique. C’est un hobby surprenant mais qui n’a rien d’illégal, sauf qu’aux Etats-Unis, par les temps qui courent, se livrer à ce genre d’activité fait de vous au mieux un suspect, au pire un coupable. Ainsi, par un concours de circonstances malheureux, Peter Els est accusé de bioterrorisme par les autorités et voit sa vie basculer du jour au lendemain. Pris de panique, il prend la fuite. Commence alors une odyssée à rebours à travers tout le pays, dernière occasion pour lui de revisiter son passé au bilan plutôt douloureux : un naufrage familial, une amitié ruinée et une vie entière sacrifiée à une musique d’avant-garde jamais entendue. On avance au rythme de cette fugue en contrepoint de la mémoire, qui se développe rencontre après rencontre. Le roman, parfois au milieu d’un exposé cérébral et technique auquel il ne faut surtout pas s’arrêter, possède des passages d’une rare beauté, comme l’inoubliable histoire narrée par le protagoniste, celle du « Quatuor pour la fin du temps » composé par Olivier Messiaen dans un camp de travail nazi en 1941, ou encore ce souvenir joyeux de sa jeunesse, quand son frère le ligotait pour le forcer à écouter du rock. Enfermé dans ses compositions, Peter Els découvre sur le tard que tout est musique, aussi bien le chant des oiseaux que le gazouillis d’un bébé, et qu’il suffit d’ouvrir ses sens pour la cueillir au creux du hasard et de la vie qui passe.Roman de la mémoire sensitive et de la rédemption de l’artiste maudit, Orfeo nous met aussi en garde contre nos sociétés hyper-surveillées, où ni l’anonymat ni la présomption d’innocence ne sont garantis. Face aux états qui poussent au conformisme au nom de la sécurité, la beauté vivante, sans but consumériste, peut encore relier les individus libres.

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