Pour Ida Brown
Ricardo Piglia

Folio
Monde entier
mars 2014
336 p.  8 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La bombe du campus

Ricardo Piglia est une des figures majeures de la littérature latino-américaine contemporaine. Si vous êtes passé à côté de son dernier roman « Pour Ida Brown », séance de rattrapage obligatoire car voilà un épatant « campus novel » furieusement borgésien.

Ricardo Piglia, auteur, essayiste et critique littéraire a enseigné pendant dix ans à l’université de Princeton aux États-Unis. Cette expérience a été pour lui une précieuse source d’inspiration pour ce roman. Il y décrit à merveille les cercles fermés de l’élite nord-américaine, qui vivent en vase-clos dans de somptueuses bâtisses aux vastes jardins qui ne sont pas sans rappeler, comme il le précise, des hôpitaux psychiatriques où s’exprime « la terrible colère des hommes civilisés ».
Emilio Renzi, le narrateur, est un écrivain buenos-airien de polars qui est très déprimé, car aucun de ses projets littéraires ne marche. Suite à l’invitation de l’énigmatique Ida Brown, il accepte d’être « professeur invité » pour le programme « Modern Culture and Films Studies » qu’elle dirige à la Taylor University près de New York (ne cherchez pas ce campus n’existe pas, c’est une création de Piglia). La belle et fascinante Ida est un professeur émérite, spécialiste de Dickens, qui est de nature très directe avec la gent masculine. « Pour pouvoir parler, il faut d’abord coucher ensemble », c’est ainsi que cette croqueuse d’hommes décomplexée aborde Renzi pour en faire un de ses amants clandestins. Leurs jeux érotiques vont s’arrêter brutalement lorsqu’Ida sera retrouvée sans vie au volant de sa voiture, la main droite carbonisée. Cette mort a-t-elle un lien avec la série d’assassinats mystérieux dans les plus prestigieuses universités américaines ? Si le FBI se met sur l’affaire Brown, Renzi va lui aussi mener son enquête soutenue par sa vieille voisine russe, Nina Andropova, grande spécialiste de Tolstoï.

Ce livre singulier appartient à plusieurs genres : roman de campus, roman sentimental, polar et thriller idéologique. Il est tout cela à la fois, mais composé avec maestria en plusieurs parties, chapitrées et sous-chapitrées. On démarre par l’observation d’un tout petit monde d’universitaires de haut niveau : « Une jungle dangereuse de gens très intelligents, bien élevés qui la nuit rêvent de vengeances terribles ». Puis l’auteur développe l’histoire d’amour et de sexe torride entre Renzi et Ida, pour poursuivre avec l’enquête sur la mort de cette dernière et enfin aboutir sur le parcours politique et idéologique de Thomas Munk, un tueur en série, mathématicien de génie. Ce dernier personnage est fortement inspiré de Théodore Kaczynski. Rappelez-vous, surnommé par le FBI « Unabomber » (University and Airline Bomber), ce terroriste mathématicien activiste, écologiste et néo-luddite a mené seize attentats au colis piégé contre d’éminents savants aux U.S.A, entre 1978 et 1994.
Tout le talent de Piglia réside dans l’art si particulier qu’ont les auteurs latino-américains de créer des situations si étranges et bizarres que l’on ne peut qu’y croire. À cela vous rajoutez la très forte « expertise polar » de Piglia tirée de plusieurs années passées à la tête de la Série noire en Argentine (collection qui accueille des auteurs cultes comme Dashiell Hammett, Raymond Chandler et David Goodis) et vous pouvez en toute confiance plonger dans ce roman tout aussi haletant que saisissant.

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