Sweetgirl
Travis Mulhauser

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avril 2016
276 p.  7,60 €
 
 
 
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Sweetgirl

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Tragédie…

Lorsque Percy apprend que sa mère Carletta James est repartie traîner autour de Shelton Potter, le gros dealer du coin, elle ne réfléchit pas et part la chercher. Ce n’est pas la première fois qu’elle court comme ça après sa mère. On ne peut pas dire qu’elle en ait vraiment l’habitude mais presque. C’est elle la « sweetgirl » du titre, la fille douce, celle que la vie a malmenée et qui continue à avancer, à lutter, pour les autres et pour elle aussi. Une éclaircie dans un ciel noir d’orage. Une forte tempête de neige est annoncée. Dans ces terres du Michigan, l’hiver ne plaisante pas. Il ne s’agit pas de rester couché dehors : on risque d’y rester. Elle démarre son pick-up. La route est encore praticable mais ça ne va pas durer. Elle traverse des espaces rendus méconnaissables par la neige accumulée. A l’approche de la ferme, elle se gare, s’avance jusqu’à une fenêtre : ce qu’elle découvre la révulse. Shelton et une femme sont affalés lamentablement : des loques complètement droguées qui ne réagissent plus. A peine humains. Elle s’apprête à partir lorsqu’elle se décide à entrer pour trouver sa mère : la musique hurle et l’odeur est pestilentielle. Elle s’avance malgré tout dans les couloirs… Elle ne sera pas déçue du voyage… Sweetgirl est un livre qu’on ne lâche pas : c’est une course contre la montre dans un espace de neige où le froid, intenable, pénètre les vêtements, coule dans les bottes, gèle les doigts. Il peut tuer … d’ennui aussi. Tous ces espaces blancs, ça n’est pas bon pour le moral. Finalement, c’est peut-être lui qu’on craint le plus. Une lutte de tous les instants. Et puis il y a les autres, les paumés, les loosers, les vrais de vrais. Plus bêtes que méchants. Des pauvres gars qui souffrent et qui tuent, sans trop savoir pourquoi, par accident même parfois, parce que le coup est parti trop vite. Ils regrettent, c’est bête mais c’est fait. Tant pis. Le personnage de Shelton, le dealer, est en cela caractéristique : dépendant au dernier degré de l’alcool, des méthamphétamines ou du protoxyde d’azote, il est dans l’incapacité absolue d’affronter le réel, d’avoir un minimum de suite dans les idées. Il peut passer un certain temps à chercher une télécommande avant de se dire qu’il suffit d’appuyer sur le bouton de l’appareil pour faire cesser la musique tonitruante qui résonne dans son cerveau. Il faut dire que « le meth » détruit, ronge, ravage le corps et l’esprit. Et vite. Appuyer sur la gâchette sans réfléchir et faire disparaître de la surface de la terre l’individu qui le dérange ne lui pose aucun souci. En revanche, il est écrasé de douleur à cause de la mort d’Old Bo, son chien. Heurtant un cerf en forêt, il est persuadé avoir tué une deuxième fois sa vieille bête et croit voir l’âme d’Old Bo dans les yeux vitreux de l’animal mourant. Et quand un looser fait appel à d’autres loosers pour régler des problèmes, on s’enfonce alors dans une réalité à la fois absurde et sordide. Et on peut très vite atteindre le pire et toucher le fond. Des pauvres types qui sont autant à plaindre qu’à condamner : « Des fois, quand je suis heureux, ça paraît irréel. La seule chose qui paraît réelle, c’est la tristesse. » dira Shelton désabusé. Trop lucide pour s’imaginer être un héros, trop souffrant pour espérer être heureux. « – Ça a dérapé, a-t-il dit. C’est parti en vrille. – Tu peux te rattraper. – Ça ne peut pas se rattraper. Déjà à la base, ça allait pas. » N’a-t-on pas là la définition même de la tragédie ? Unité de temps, de lieu, d’action. On y est. C’est elle. Et quand on la reconnaît, on sait quelle sera la fin. Travis Mulhauser signe ici un premier roman bien noir sur les laissés-pour-compte de l’Amérique, ceux qui ne s’en sortiront jamais, quoi qu’ils fassent. Des personnages que l’on n’oubliera pas. Touchant !

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