Vie et mort de Sophie Stark
Anna North

traduit de l'anglais par Jean Esch
J'ai lu
août 2015
341 p.  7,60 €
ebook avec DRM 5,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Les malheurs de Sophie

« La première fois où Sophie me vit, j’étais sur scène. » C’est par cette phrase que démarre ce roman signé d’une jeune trentenaire inconnue, Anna North. D’emblée apparaît un élément récurrent du récit : le narrateur se place en position de sujet « vu » par Sophie. Se décrit, et existe par le regard de l’autre. Allison n’évoque pas le souvenir qu’elle a de celle qui est le personnage central de cette fiction, elle met en scène sa perception d’elle. Allison est apprentie et Sophie, qui deviendra son mentor, une jeune réalisatrice à la personnalité complexe. Celle-ci, au prix d’incompréhensions, d’élans de tendresse (d’amour?) et de manipulations, parvient à obtenir le meilleur d’Allison. Sans que le lecteur ne parvienne à deviner s’il s’agit de perversion, d’obsession…ou juste d’un fonctionnement difficile à comprendre, puisque Sophie est racontée en creux par ceux qui l’ont connue, aimée et…rejetée. Tour à tour son frère, Robbie, Jacob (un rocker qui l’épousera), un ancien petit ami ex-gloire du basket (qui fut son premier personnage de film documentaire), un producteur sur le déclin : tous offrent leur perception du caractère de Sophie. Le puzzle se complète peu à peu, construction bancale de l’image que le lecteur se fait de cette jeune femme obsédée par la perception qu’elle a de son art cinématographique. Rien ne semble compter au regard de cette vocation, ni les sentiments de ses proches, ni son confort émotionnel… Son caractère s’éclaire (ou s’assombrit) en avançant dans cette lecture passionnante. Fort des souvenirs disséqués par son entourage qui établissent un portrait en creux peu amène, le lecteur vacille régulièrement. Notamment en lisant les coupures de presse d’un journaliste-fan décrivant le travail de Sophie.

Qui était vraiment cette jeune femme ? Une artiste obsessionnelle et vampire, se nourrissant des autres pour donner naissance à ses projets… ou une personnalité fragile, habitée par sa vision du cinéma qui se souciait peu des convenances et des règles de savoir-vivre ? Anna North, journaliste au « New York Times », signe là un premier roman étonnant de maîtrise et d’intelligence.

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

une histoire poignante

C’est un roman singulier et original dans sa construction, le personnage central Sophie se construit à travers le regard des autres personnages. On suit l’évolution de Sophie ce véritable génie de la mise en scène. Les critiques louent sa technique révolutionnaire de cadrage dans ses films et sa vision particulière du monde. Le roman dresse un tableau impressionniste par petite touche de la réalisatrice, dont on n’entend jamais la voix sauf quand elle dialogue avec les autres personnages ce qui est intriguant.
Les autres personnages nous permettent de mieux la comprendre. Il y a d’abord Allison, une jeune femme paumée qui vit à New York quand elle rencontre Sophie dans un bar. Sa vie va radicalement changer après avoir joué dans ses films. Elle devient une actrice et se reconstruit après une vie difficile. Son récit de sa passion pour Sophie permet de nous interroger sur l’amour, la violence des sentiments. Allison est fascinée par Sophie, son allure de garçonne, son talent. Elle donne un aspect humain, fascinant à Sophie.
Ensuite, son jeune frère Robbie, nous donne accès à un autre aspect de sa personnalité, on comprend l’enfance difficile de Sophie. Son mal être, elle a toujours été à part du fait de son intelligence et de sa vision froide sur l’existence. Elle ne sait pas singer les convenances et Robbie nous donne les clefs qui permettent de rendre Sophie plus attachante avec ses blessures et ses peurs.
Daniel lui a été le déclencheur de sa passion pour le cinéma, auquel elle a consacré son premier court métrage. On le retrouve dans le récit des années plus tard, une fois que Sophie est devenue une réalisatrice connue et célèbre. J’ai apprécié ce personnage très attachant quand il passe de la star du lycée à un homme blessé, une fois adulte. Sophie va lui permettre de retrouver le fil de son existence.
Jacob est le mari de Sophie, un musicien qui a du mal à surmonter la mort de sa mère, il la rencontre à l’occasion du tournage de son clip. Sophie devient une figure plus humaine dans sa relation avec lui, elle essaye de changer et de tenir compte de ses sentiments contrairement à son habitude.
Benjamin est un critique de cinéma d’abord amateur au début du livre puis professionnel, fan de ses œuvres. Son interview et ses critiques rythment la fin de chaque récit des personnages et réalisation de Sophie. Il permet d’avoir un regard extérieur sur sa vie et ses œuvres.
La dernière partie est très émouvante et permet de finaliser ce portrait atypique de la réalisatrice qui avait sa propre vision de l’art. C’est une héroïne complexe avec ses zones d’ombres, ses démons intérieurs. Elle n’a aucune limite ou tabous et ne sait pas quand s’arrêter. Elle est persuadée que le principal dans la vie c’est le cinéma. Comme un vampire elle aspire les histoires des autres pour réaliser ses films. J’ai aimé la mélancolie profonde attachée au personnage. J’ai pensé à une sorte d’artiste maudite incapable de s’exprimer et de dire vraiment ce qu’elle pense aux gens qu’elle aime. Elle n’arrive pas à se comporter normalement. Elle est tantôt agaçante, hautaine et froide, tantôt fragile et humaine. Elle ne se sent bien qu’en créant, à l’abri derrière sa caméra. J’ai adoré ce personnage complexe à la fois fort et fragile.
La force du récit et qu’au bout d’un moment on oublie que c’est un personnage de fiction, les détails, les récits enchâssés donnent du réalisme à l’histoire. Cette philosophie que l’art transcende la réalité est percutante, la réalité est sublimée par sa mise en scène. N’hésitez pas et visionnez l’œuvre virtuelle de Sophie Stark vous en sortirez enchanté et ému.

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