Des hommes en noir
Santiago Gamboa

traduit de l'espagnol par François Gaudry
metailie
bb hispano
avril 2019
362 p.  21 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Une invitation au voyage

La Colombie n’est pas guérie de toute violence, mais elle n’a pas plus cette réputation de coupe-gorge du temps des cartels de la drogue ou de la guérilla des Farc. Le pays est suffisamment pacifié pour qu’un écrivain puisse y situer un polar classique, où la justice et la police reviennent aux affaires courantes : enlèvements, disparitions, fusillades, meurtres. Santiago Gamboa fait ce constat paradoxal d’un retour aux crimes ordinaires dans un roman aussi enlevé qu’un air de salsa et aussi relevé qu’un condiment aux piments rouges. « Des hommes en noir » respecte les lois fondamentales du genre, avec deux héros juste assez tourmentés pour nous sembler proches, des personnages secondaires bien typés et une galerie de gros bras pittoresques. La police colombienne ne s’étant pas encore refait une virginité, ce sont un procureur et une journaliste qui mènent l’enquête. Un curieux attelage en rupture de vie familiale, lui maniaque et solitaire, elle portée sur la bouteille et les rencontres d’une nuit. Le duo fonctionne, car chacun y trouve son compte. Le magistrat bénéficie d’une investigation discrète, la journaliste d’un sujet d’article exclusif. Une jeune femme rangée de la guérilla leur fait le sale boulot, un peu fouineuse, un peu porte-flingue, des contacts partout où il faut. Ils s’intéressent à une fusillade sur une route de montagne dont il ne reste que de vagues témoignages. Hormis une douille d’arme de guerre, aucune trace : ni cadavre, ni carcasse de véhicule, ni rapport de police. Les rares indices et un mystérieux orphelin indien leur font découvrir le nouveau fléau qui s’enracine dans leur pays convalescent. Comme au Brésil voisin, les églises évangéliques prolifèrent autour de pasteurs plus aventuriers que miséricordieux, qui achètent leurs parts du nouveau marché à l’intimidation et à l’esbrouffe. Ils maintiennent les pauvres occupés, les riches et les notables sont rassurés. Problème : leur rivalité façon guerre de gangs fait tache dans le magnifique paysage colombien. Ce suspense solide, au réalisme social et politique bien documenté, l’auteur l’accommode avec tout ce qui lui fait aimer son pays. Forêts tropicales et villages perdus, vapeurs de rhum et rythmes à danser, beignets et ragouts sucrés-salés… un festival de parfums, de goûts et de couleurs vient enrichir la vendetta des hommes en noir. Ce n‘est pas pour rien que l’ex-journaliste Santiago Gamboa a aussi été ambassadeur. Sous sa parure policière, son livre est une alléchante invitation au voyage.

 

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