Tout ce qu'on ne s'est jamais dit
Celeste N'G

Pocket
mars 2016
288 p.  6,95 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Faux polar et vrai roman

La frontière entre la littérature noire et la blanche devient de plus en plus floue. Ce premier roman de l’Américaine Celeste Ng en est une parfaite illustration. « Tout ce qu’on ne s’est jamais dit » paraît chez l’éditeur de polars, Sonatine, et pourtant, très vite, on s’éloigne des codes du genre et ce n’est pas le « Lydia est morte » écrit en gros caractères sur le quatrième de couverture qui me fera changer d’avis.

Lydia est morte certes, noyée. Suicide ou meurtre ? L’enquête ne va pourtant pas ou peu se concentrer sur un éventuel criminel (il y a bien un voisin un peu étrange qui serait le dernier à l’avoir vue), mais plutôt sur les raisons qu’elle aurait eu de mettre fin à ses jours. Lydia était une jeune fille brillante, la préférée de ses parents, de sa mère surtout, qui misait tous ses espoirs d’une réussite professionnelle qu’elle n’avait pas pu accomplir elle-même sur l’adolescente. Peu à peu on entre dans l’intimité de la famille Lee, et de ce couple mixte (le père est d’origine chinoise), on découvre à quel point il est difficile de s’intégrer dans l’Amérique des années soixante-dix lorsqu’on est un peu différent. Il y a des années, l’étudiante Marilyn est tombée amoureuse de son professeur, James, alors qu’elle rêvait de devenir médecin. Un rêve interrompu, mais pas enterré pensait-elle, par une première grossesse. Le mariage, la brouille avec sa mère qui espérait un autre avenir pour sa fille, la difficulté voire l’impossibilité à reprendre une vie professionnelle vont cristalliser toutes les frustrations et déterminer le futur de cette famille. Celeste Ng distille les indices au compte-gouttes, subtilement, et peu à peu se dessine une toute autre image des Lee que celle que nous avions en tête au début du récit. En dehors de l’intrigue proprement dite, l’auteure dit beaucoup de choses sur les rêves qu’on doit abandonner en cours de vie, ou plutôt que certains se sentent obligés, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, de laisser de côté. Plus on avance dans le livre, plus on s’éloigne du genre policier. Mais quelle importance ? Alors faux polar certes, mais vrai (bon) roman.

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Ce que tu seras…

« Lydia est morte mais ils ne le savent pas encore. » Qui se cache derrière ce « ils » ? Les membres de la famille Lee : le père James d’origine asiatique, professeur d’histoire américaine à l’université de Middlewood, la mère Marilyn, femme au foyer contrariée, ayant dû renoncer à des études de médecine, le frère Nathan, passionné d’astronomie et inscrit à Harvard et Hannah, la petite sœur, si petite que personne ne la voit, surtout pas ses parents, obnubilés qu’ils sont par la réussite de leur fille aînée Lydia. Tous les espoirs de ses parents reposent en effet sur les frêles épaules de la jeune fille : elle deviendra médecin et saura réussir là où sa mère a échoué. Dans sa chambre, les livres s’accumulent déjà : L’Atlas en couleurs de l’anatomie humaine, Les Pionnières de la science… Un stéthoscope est accroché à l’étagère. Ce sont les cadeaux qu’on lui a offerts et qu’elle a soigneusement rangés, sans omettre de remercier, avec le sourire, toujours le sourire… Elle saura ne pas souffrir de ses origines asiatiques et se fondre dans la masse, ressembler aux autres et surtout avoir des amis, ce que son père n’a jamais vraiment réussi à faire dans cette Amérique des années soixante-dix peu ouverte aux mariages mixtes et au métissage. Elle, elle saura. Et puis, il y a ce frère qui veut absolument la protéger de ce maudit voisin, Jack, un sale gamin livré à lui-même et Hannah, la petite sœur qui voit tout, cachée sous la table ou dans un recoin de la pièce et qui analyse. Mais Lydia n’est plus là. Et c’est en étudiant très finement chacun des membres de cette famille que l’on va tenter de s’approcher de la vérité : qui a tué Lydia ? Ce roman interroge sur ce qui fait de chacun de nous ce qu’il est, ce qu’il est devenu, le chemin qu’il a suivi malgré les circonstances. Finalement, on se surprend à penser que la part de liberté dans une vie est peut-être somme toute assez limitée, qu’il faut faire avec, avec notre héritage génétique, social et donc culturel. Et un jour viendra où ce sera à notre tour de transmettre tout cela à nos enfants : quelles seront nos attentes vis-à-vis d’eux? Je repense à la dernière chronique que j’ai écrite sur Rouge de Carl Aderhold, très beau livre dans lequel le père, communiste, voulait que son fils devienne la mémoire de la famille. Lourd fardeau s’il en est… Si nos enfants ont besoin de nous à leurs côtés, c’est pour que nous les aidions à trouver leur propre voie qui n’a peut-être rien à voir avec celle que nous avions imaginée pour eux. Et c’est par le dialogue qu’ils sauront nous convaincre qu’ils savent ce qu’ils aiment et ce qu’ils souhaitent. Si l’on sait les écouter… Cette œuvre de Celeste Ng s’apparente davantage à un roman psychologique qu’à un roman policier, je le précise pour les lecteurs qui s’attendraient à une réelle enquête policière. En fait, on comprend très vite ce qui s’est passé et l’on ne se trompe pas. Le titre, pas forcément très heureux, en dit long sur la problématique qui nous renvoie à cette période difficile, fragile qu’est l’adolescence, période où tout est à construire, tout est en devenir et où, en tant que parents, il faut être là, présents, à l’écoute et, en même temps, capables de se mettre en retrait afin de leur laisser cet espace de liberté indispensable à leur épanouissement, en restant conscients du fait qu’ils ne sont pas là pour prolonger notre vie et faire ce que nous n’avons pas fait. Ils sont autres, ils sont eux. Et c’est tant mieux !

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Une fantastique plongée dans la psychologie d’une famille.

Oh le très très bon polar que voilà ! De quoi vous scotcher à votre fauteuil le temps d’un week-end pluvieux. Présenté comme un thriller, c’est plutôt un roman noir. Mais du noir tout en finesse et en psychologie, sans une goutte de sang, sans autre violence que celle des sentiments ou de leur absence. Un roman d’une efficacité redoutable… « Lydia est morte. Mais ils ne le savent pas encore ». Jolie entrée en matière. Après ça, comment voulez-vous poser ce livre ? Ils, c’est le reste de la famille Lee. James et Marilyn les parents, Nath le frère aîné et Hannah la benjamine. Le corps de Lydia Lee, 16 ans est retrouvé au fond du lac, non loin de la maison des Lee dans une petite ville bien tranquille de l’Ohio. Lydia ne savait pas nager et immédiatement les questions de posent : accident, meurtre ou suicide ? Que faisait-elle au milieu du lac en pleine nuit ? « Comment est-ce que ça a commencé ? Comme toujours : avec les mères et les pères ». Dès le deuxième chapitre, le ton est donné. L’enquête policière passe à l’arrière-plan, ce qui compte c’est la famille. Qu’a-t-il bien pu se passer au sein de cette famille pour aboutir à ce fiasco ? Et c’est là que la romancière excelle : l’exploration des arcanes de la famille Lee permet de faire monter délicieusement le suspense, au fur et à mesure que se dévoilent les failles, les non-dits ou au contraire les mots qui peuvent faire mal. J’ai rarement lu quelque chose d’aussi juste dans l’expression des sentiments d’un frère ou d’une sœur. Peu à peu se dessine le portrait d’une adolescente prise entre le désir d’intégration de son père et celui d’émancipation de sa mère. Pour chacun de ses parents elle est la préférée, celle sur qui tous leurs espoirs reposent. James voudrait qu’on ne voie plus en elle une métisse mais simplement une enfant américaine comme les autres, il voudrait qu’elle réussisse à briser ce carcan de solitude qui enferme sa famille mixte dans une Amérique de la fin des années 70 encore rétive aux mélanges. Marilyn compte sur Lydia pour accomplir ce à quoi elle a renoncé pour fonder une famille : devenir médecin. Autour de Lydia, il y a un frère aîné qui s’apprête à quitter la maison pour Harvard et une petite sœur qui semble avoir été oubliée par le reste de la famille, mais dont la sensibilité est exacerbée par le manque d’affection. L’enquête sur la famille Lee est addictive, l’auteure parvenant sans cesse à raviver l’intérêt ou à épaissir le mystère, à partir d’un rien, un mot, une phrase, un malentendu, une incompréhension. Il lui suffit ensuite de tirer le fil, ce qu’elle fait de manière vraiment intelligente, offrant également une vision fine de l’Amérique conservatrice. Mais surtout, chaque personnage est campé avec grand soin, sa psychologie est décortiquée au plus près sans que jamais l’auteure n’ait besoin de recourir à des effets de manche ou de chausser de gros sabots. La quatrième de couverture évoque l’univers de Laura Kasischke, peut-être parce que l’on reste dans un environnement domestique aux apparences trompeuses. Mais la comparaison s’arrête là, l’atmosphère de ce roman n’ayant pas la lourdeur imposée par Kasischke, au contraire. J’ai passé un excellent moment en compagnie de la famille Lee, je ne suis pas passée loin du coup de cœur. La bonne nouvelle c’est que c’est un premier roman. J’attends la suite de la production de la dame avec intérêt et curiosité.

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