CHIEN, LA NEIGE, UN PIED (LE)
MORANDINI CLAUDIO

anacharsis
fictions
mars 2017
 13 €
ebook avec DRM 8,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

L’homme des neiges

La montagne a le vent en poupe et les éditeurs prennent de la hauteur ! Cette fois, venue d’Italie, une histoire cruelle comme il s’en racontait le soir, à la veillée, pour se faire peur.

Homme fruste et solitaire, Adelmo Farandola habite une cabane misérable dans les montagnes. Sa vie est rythmée par les saisons ; deux fois par an, avant l’hiver et au printemps, il descend s’approvisionner au village, où on le considère comme un vieil original crasseux. Cet automne, cela fait deux fois qu’il vient au magasin pour acheter de quoi passer l’hiver, car il commence à perdre la tête : « il ne se souvient pas qu’il a oublié »… Lors de sa remontée, un corniaud s’accroche à ses basques, et malgré ses efforts pour le chasser avec force jets de pierres, Adelmo ne parvient pas à le décourager : l’animal lui fera un peu de compagnie, d’autant que là-haut, il ne reçoit guère de visites, sauf de temps à autre ce fouineur de garde-chasse. L’hiver arrive, et avec lui la neige qui isole pendant des mois l’ermite et son chien dans le chalet. C’est dans cette rude proximité qu’ils vont tous deux se mettre à discuter. Un jour, Adelmo et son compagnon font une découverte macabre, un pied humain dépassant d’une avalanche. Avec le dégel, le corps va se dévoilant, et l’esprit d’Adelmo va divaguant.

Ce personnage de misanthrope bourru est plus complexe qu’il n’y paraît ; sa mémoire embrumée fait ressurgir des traumatismes anciens qui ont précipité sa fuite hors d’un monde qui avait « perdu la boule ». Se réfugier toujours plus haut, s’enterrer vivant sous des couches de neige ou de terre, rien ne bâillonne l’instinct grégaire de notre ermite montagnard qui parle à la roche, à la glace, aux animaux et même aux morts. Dans la solitude hivernale, les distances se resserrent et le mystère apparaît, sujet de ce roman rugueux, sombre et troublant.

partagez cette critique
partage par email
 

L’ermite et son chien

Je ne sais d’où me vient ce goût pour les textes qui évoquent la vie d’hommes volontairement coupés du monde, dans les alpages, bloqués l’hiver et profitant de la belle saison pour faire des réserves. Moi qui aime la ville et les gens, me voilà fascinée par les ermites perdus au beau milieu de nulle part… Et à tous les coups, ça marche ! J’avais adoré le très beau livre de l’italien Paolo Cognetti Le Garçon sauvage (Carnet de montagne) qui raconte l’histoire d’un garçon de la ville qui décide de tenter l’expérience de la solitude dans les hauteurs de la Vallée d’Aoste.
C’est encore d’un livre italien dont je vais vous parler et qui porte un titre qui m’a tout de suite conquise (pourquoi ? mystère !) : Le chien, la neige, un pied de Claudio Morandini chez Anacharsis. Comment définir ce texte ? L’auteur raconte dans une postface que l’œuvre est née d’une rencontre dans la montagne : en effet, un jour qu’il grimpait, il reçut soudain une volée de pierres et de pommes de pin. Il leva la tête et découvrit un homme au regard sombre qui l’observait d’un air pas très aimable. L’homme était accompagné d’un chien. Au retour de son excursion, l’auteur interrogea les villageois de la vallée : qui était cet homme, comment vivait-il ? Personne ne semblait le connaître ni même se préoccuper de lui. L’année suivante, l’auteur suivit le même sentier en espérant rencontrer l’homme qui l’avait intrigué. Mais il ne vit personne.
De cette singulière expérience naquit une fiction : l’histoire d’Adelmo Farandola, un vieil homme qui, il y a bien longtemps de cela, avait voulu échapper à des militaires pendant la guerre. Alors, il s’était caché au cœur de la montagne, dans une espèce de galerie à peine plus large que son corps et avait attendu que les hommes en pardessus quittent la région. Et il n’était plus jamais redescendu.
Chaque année, avant l’hiver, Adelmo a pris l’habitude de se rendre à l’épicerie du village. On se moque de lui car il perd un peu la boule et traîne une sacrée odeur. Il ne s’est pas lavé depuis un bon bout de temps. La crasse tient chaud…
Il se charge de viande séchée, de saucisses, de vin et de beurre et remonte, lentement, jusqu’à son vieux chalet.
Un jour, il sent une présence à ses côtés : c’est un pauvre chien affamé et infesté de tiques qui le regarde. Adelmo le chasse et finit par le laisser entrer. S’il crève de faim cet hiver, il pourra toujours manger le chien. Finalement, l’homme et l’animal se trouvent bien ensemble : ils marchent, sont à l’affût des moindres odeurs, observent la vie qui grouille sur la montagne. Un soir, le chien se met à parler à Adelmo. Il a faim et demande à manger.
Le roman se fait conte ou l’homme devient fou. Peut-être bien les deux… On ne sait pas. J’aime bien cette hésitation.
La nuit, tandis que le chalet est recouvert de neige, le bois craque, les bêtes hurlent, le silence est criblé de mille bruits inquiétants. « Les gens imaginent que la montagne enneigée est le royaume du silence. Mais la neige et la glace sont des créatures bruyantes, éhontées, moqueuses. » Adelmo parle aux bruits, se moque d’eux, les insulte…. Pour se rassurer certainement…
L’hiver est long : « Suis-je fou ? » demande Adelmo à son chien. « – Disons que tu es un peu bizarre, oui. – C’est à cause des lignes à haute tension. Le chien lève la tête, ne les voit pas « Quelles lignes ? – Celles de quand j’étais petit. »
Le printemps arrive, homme et bête sortent respirer un peu, observer les têtards, chasser le chamois. Le chien se plaint d’une odeur un peu forte. Un jour de dégel, sous un amas de neige, apparaît… un pied. Il faudra attendre encore quelques jours pour savoir à qui il appartient. Dans tous les cas, un pied, c’est toujours un peu embarrassant surtout quand on ne sait pas comment il est arrivé là…
Le chien, la neige, un pied est une histoire étrange et fascinante, de celles que l’on se racontait autrefois le soir au coin du feu : une légende de la montagne et des êtres solitaires qui l’habitent. C’est un texte qui tient du conte et du récit fantastique. L’écriture (et sa merveilleuse traduction) évoque très subtilement ce monde fait de silence et de bruits ténus, la poésie qui émane de la beauté sauvage de la nature.
Les dialogues entre l’homme et le chien sont à la fois irrésistibles de drôlerie et empreints d’une immense tendresse. C’est désespéré et cocasse à la fois.
Un grand plaisir de lecture…

Lire au lit : http://lireaulit.blogspot.fr/

partagez cette critique
partage par email