La femme aux cheveux roux
Orhan Pamuk

traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy
gallimard
du monde entier
mars 2019
280 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Le fils du puisatier

Resserré, s’abreuvant à la source des mythes, « La Femme aux cheveux roux » est un roman d’apprentissage dans la Turquie contemporaine (1985-2015), doté d’un héros confronté aux questions qui tiraillent son pays, et détenteur d’un passé ineffaçable. Grâce au talent de conteur d’Orhan Pamuk, on passe un excellent moment de lecture.

L’apprenti puisatier

Après le départ brutal de son père, Cem et sa mère voient leur train de vie drastiquement réduit. Malgré son emploi dans une librairie, le lycéen stambouliote aura du mal à payer ses cours d’entrée à l’université, aussi, l’été de ses dix-sept ans, il accepte de travailler pour un puisatier sur un chantier à Ongören, bourgade située à plusieurs kilomètres d’Istanbul. Mais le creusement du puits s’avère plus difficile et plus long que prévu, malgré l’acharnement de Mahmut le puisatier. Après leur journée de labeur, Cem et son maître prennent l’habitude de se rendre au centre d’Ongören, où une troupe de théâtre marxiste a dressé son chapiteau. Cem découvre l’alcool, le théâtre et l’amour avec une comédienne rousse plus âgée que lui. Cet été-là, il se transforme sous l’œil paternel et vigilant de Mahmut qui lui enseigne le métier, lui raconte des histoires et des légendes, tout en le mettant en garde contre les tentations.

De père en filsLe roman est une histoire de filiation et de paternité, inspiré par le mythe grec d’Œdipe parricide et l’épopée iranienne du « Livre des Rois », dont le plus grand héros tue son fils. Adolescent, Cem n’a pas de père auquel s’identifier ni contre lequel se rebeller ; c’est le puisatier qui endossera ce rôle. Cette problématique est aussi symbolique de la Turquie, même si la question politique est sous-entendue, comme toujours chez Orhan Pamuk qui fait évoluer ses personnages au sein d’une métropole stambouliote en pleine expansion et dans un climat autoritariste qui divise la société. Riche en secrets, le roman illustre les notions de destin et de liberté à la manière d’un conte moderne dont la structure coïncide avec le thème du retour aux sources avec finesse et mélancolie. Un grand coup de cœur !

 

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 Les internautes l'ont lu

Eté 1985, Istanbul : jeune lycéen, Cem souffre du départ brutal de son père, un pharmacien marxiste souvent absent à cause de ses activités politiques et amoureuses. Pour subvenir aux besoins de la maison, Cem commence à travailler dans une librairie puis, suite à un déménagement, il va surveiller le potager de son oncle. Mais les rentrées d’argent demeurent très insuffisantes, d’autant que Cem veut s’incrire à l’Université dès la rentrée. Il lui faut donc trouver une activité plus rémunératrice.
C’est ainsi qu’il découvre, dans le jardin d’à côté, des ouvriers qui s’emploient à creuser un puits. Piqué par la curiosité, Cem s’approche et discute avec le maître puisatier, un certain Mahmut, qui lui explique que s’il vient l’aider à creuser un puits dans la banlieue d’Istanbul, il gagnera de l’argent très rapidement et pourra ainsi commencer ses études supérieures. Malgré les réserves de sa mère, Cem décide de partir avec Maître Mahmut et de devenir apprenti auprès du puisatier.
Commencent alors les travaux…
Sachez, cher lecteur (trice), que vous allez devenir à votre tour un véritable maître puisatier car, sur les 100 pages et quelques qui suivront, Cem, Mahmut et un troisième larron vont creuser, creuser, creuser, sous l’écrasant soleil de juillet. Rien de la technique du forage ne vous sera épargné (avec un petit schéma p 40). Est-ce ennuyeux ? Oui et non parce que très vite, il faut bien le dire, s’installe une certaine tension : l’eau va-t-elle jaillir un jour ? Et croyez-moi, on finit par se prendre au jeu et par devenir aussi impatient que les trois protagonistes. Par ailleurs, Maître Mahmut, qui va devenir pour Cem un père de substitution, aime raconter des histoires, souvent d’ailleurs empruntées au Coran. Il en connaît des quantités incroyables et on l’écouterait parler des nuits entières en regardant les étoiles… Si, si…
Et puis, il faut savoir que le soir, Cem quitte son maître pour se promener dans le bourg d’Öngören… Là, il va croiser le regard d’une femme à la chevelure de feu qui va le hanter. Dorénavant, il passera ses journées à attendre que la nuit tombe pour observer de loin, à la dérobée, celle qui appartient à une troupe de théâtre ambulant…
Or, un événement inattendu va avoir lieu, rompant l’aspect répétitif du forage et projetant soudain le lecteur dans un roman qui va devenir franchement passionnant pour des raisons que je tairai.
S’il est des textes qu’on oublie, je sais que ce ne sera pas le cas de ce roman de formation, classique dans son écriture, qui convoque les grands mythes d’Oedipe et de Rostam (héros de la Perse antique) en les modernisant et ce, dans une Turquie en pleine mutation où la ville d’Istanbul (véritable personnage de l’histoire) s’étend et se modernise chaque jour davantage tandis que les années passent.
Ainsi, quelle que soit la thématique abordée : géographique, politique, économique ou religieuse, passé/présent s’opposent continuellement dans ce texte, reflétant à la fois la complexité du monde moderne et les préoccupations profondes de l’auteur.
De plus, La femme aux cheveux roux pose des questions philosophiques qui nous amènent à nous interroger sur les notions de destin, de liberté et d’identité à travers Cem, un personnage qui va chercher, une bonne partie de sa vie, à fuir son passé.
Entre le conte philosophique, la fable politique, le roman d’aventures et la tragédie moderne, La femme aux cheveux roux, dont la construction est remarquable, s’empare progressivement de son lecteur qui finit par craindre le pire pour le personnage principal dont il a suivi la trajectoire en redoutant l’issue finale.
Fascinant.

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