La mouette au sang bleu
Iouri Bouïda

traduit du russe par Sophie Benech
Gallimard
monde entier
novembre 2015
288 p.  24 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Goût russe

Iouri Bouïda, né en Russie en 1954, est peu connu en France malgré le succès du Train zéro en1998. Aussi, ne passez pas à côté de La mouette au sang bleu, le grand roman russe de cet auteur qui se révèle le digne héritier des plus grands écrivains de son pays. Sophie Benech, grâce à une traduction remarquable, nous fait pénétrer son univers chatoyant.

Comme au théâtre, les trois coups annoncent l’ouverture : l’horloge sonne trois heures chez Ida Zmoïro, quatre-vingt-cinq ans, qui sort de chez elle en pleine nuit avec détermination ; mais au moment où elle pousse la porte du commissariat, elle s’effondre, victime d’une attaque. Le roman commence ainsi par la mort énigmatique de son héroïne. Aliocha, jeune professeur, se souvient de celle qu’il considérait comme sa « tante chérie »… Grande actrice adulée dans les années 1940 avant d’être défigurée par un accident, mariée plusieurs fois, exilée et revenue par la faveur de Staline qui la bannit pourtant de Moscou, Ida Zmoïro habitait à Tchoudov une ancienne maison close, et donnait des cours de danse aux petites filles, les « colombes », référence à la tradition des cortèges funèbres accompagnés par ces fillettes vêtues de blanc, une colombe au creux des mains, qu’elles laissent s’envoler avec l’âme du défunt. Ida fascine, son amour pour le théâtre est tel qu’elle joue sans relâche pour les publics les plus improbables les grands rôles tragiques auxquels elle s’identifie, elle-même la proie résignée d’un destin marqué par la passion et jonché de morts : « Le bonheur, ça fait grossir ». Autour de cette héroïne irrésistible gravitent des personnages hauts en couleur, grotesques, dostoïevskiens, comme ces habitants de la petite ville de Tchoudov, où semblent se concentrer toutes les absurdités du régime soviétique. Ici, tout est mouvant, comme dans un songe, les noms ont un double sens et chacun porte un secret pris dans la légende de Tchoudov, où sous la neige parfois rouge les ponts se jettent dans le vide, les inondations emportent les cimetières, et le canal de l’Inde s’embourbe dans les marais…

La mouette au sang bleu est un superbe roman à la fois baroque et classique, doté d’une héroïne qui exécute là son plus grand rôle, sa propre vie, emblématique de cette âme russe insaisissable, secrète et exubérante, mélancolique et révoltée, en un mot, inoubliable.

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