Sonia
Ignacy Karpowicz

Caroline Raszka-Dewez
Les Editions Noir Sur Blanc
litt etrangere
février 2017
176 p.  18 €
 
 
 
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coup de coeur

Le metteur en scène polonais

Voici un roman original sur la transmission et la mémoire, qui pose la difficile question des rapports entre l’art et le témoignage, en l’occurrence l’attitude de la Pologne envers les Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Igor Grycowski, célèbre metteur en scène varsovien, tombe en panne dans une région des plus reculées de la Pologne, à la frontière avec la Biélorussie. Coupé du monde, hors du temps, ce hameau de Podlachie compte une habitante, la vieille Sonia, qui vit là avec sa chienne, un chat, une vache et quelques poules. Lorsqu’elle voit arriver cet homme avec sa Mercedes et son téléphone dernier cri, elle croit voir l’ange de la mort déguisé en prince charmant. Elle n’a pas grand-chose à donner, Sonia, sauf un verre de lait et une histoire vieille d’une bonne soixantaine d’années. Son histoire, c’est celle d’une jeune paysanne des années 1940 vivant avec un père violent dans cette région rude que la guerre a oubliée. Ici, pas de soldat, sauf un jour un Allemand à moto, qui fait cadeau d’un chiot à la jolie Sonia. Comme dans tout conte qui se respecte, celle-ci tombe amoureuse de l’officier SS, un amour interdit vécu dans le plus grand secret de quelques nuits. Mais la guerre les rattrape et les promesses s’envolent. A la place, les massacres, le sang et l’humiliation.

On a déjà lu des histoires de guerre tragiques, mais ici le mode de narration est des plus originaux. La vieille femme, fantôme qui plane sur un pays oublieux et silencieux, confie sa mémoire à un metteur en scène qui en devient le dépositaire et, comme on peut s’y attendre, y trouve l’inspiration pour sa prochaine création. Le roman est alors entrecoupé de scènes de sa future pièce, une recréation romanesque de faits historiques, véritable passage au tamis de l’imagination. Il y aurait donc une double manipulation par les narrateurs ; en effet, que lit-on : un récit authentique ou l’adaptation pour un public citadin ? Le roman oscille ainsi entre vérité du témoignage et mensonge romanesque, sans que le lecteur parvienne à déterminer s’il est le jouet d’une construction habile. C’est âpre et en même temps très beau.

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