Swing Time
Zadie Smith

traduit de l'anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson
Gallimard
du monde entier
août 2018
480 p.  23,50 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
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La vie est une danse

Dans son cinquième roman, Zadie Smith nous raconte l’histoire de deux amies d’enfance issues du district londonien de Brent d’où elle-même est originaire. Unies par la passion de la danse, la narratrice et son amie verront leurs destins diverger en devenant adultes.

L’amie prodigieuse

C’est au cours de danse de Mlle Isabel, un samedi de 1982, que les fillettes se rencontrent. Toutes deux sont métisses ; mère jamaïcaine et père anglais pour la narratrice, parenté inversée pour Tracey, comme en miroir. Très vite, elles deviennent inséparables, se retrouvent pour visionner des comédies musicales, s’identifient aux stars du genre, inventent des spectacles et s’entraînent aux claquettes. Bien qu’habitant le même quartier populaire, elles évoluent dans des univers différents : la mère l’une est toujours plongée dans les livres et les études, transmettant à son mari et à sa fille une conscience politique aigüe, tandis que Tracey vit avec sa mère célibataire dans un foyer où la télévision règne sans partage. Des deux, Tracey s’avère la plus douée pour la danse dont elle fera son métier, convoitant les feux de la rampe, alors que la narratrice, après ses études, devient l’assistante personnelle d’une chanteuse pop, célébrité mondiale dont elle doit satisfaire tous les caprices de diva.

Hasards et déterminismes : d’aventures en déceptions

Si la première partie de « Swing Time » se déroule dans le quartier de Brent, centre romanesque névralgique de l’auteure, l’histoire se déplace dans un pays d’Afrique de l’Ouest, où la chanteuse Aimee projette de faire construire une école pour filles. La narratrice, chargée de préparer le terrain, celui des tournées comme de la fondation de charité, rencontre ainsi une population africaine qui tord ses préjugés et la questionne sur son identité. A l’image de ce décentrement, le roman de Zadie Smith se perd dans les thèmes social, politique, ethnique, familial, amoureux, maternel, homosexuel, le tout dans un tourbillon d’intrigues secondaires qui finissent par saturer l’espace romanesque et perdre de vue l’histoire principale, celle de la trajectoire des deux amies que l’opportunisme et la jalousie de l’une, la timidité et l’idéalisme de l’autre séparent. Dynamique et brillant au début, le roman d’apprentissage se dilue malheureusement dans des discours trop appuyés sur le réalisme et le relativisme.

 

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 Les internautes l'ont lu

Londres, quartier populaire : deux petites filles métis se rencontrent dans un cours de danse. Une relation se noue entre elles, j’hésite à parler d’amitié car il y a vraiment une dominante et une dominée, relation qui perdurera tant bien que mal à l’âge adulte.

La dominante, c’est Tracey : elle est audacieuse, fait souvent fi des règles et n’a qu’une envie devenir danseuse professionnelle. Elle trouve son faire-valoir en la personne de la narratrice, plus effacée, mal dans sa peau à cause du regard dévalorisant que porte sa mère sur elle. Une mère qui par ailleurs n’a qu’une ambition : s’élever de sa condition sociale grâce aux études, ces dernières passant bien avant sa fille.

Au sortir de l’adolescence, les deux jeunes femmes vont suivre des trajectoires bien différentes : Tracey intégrera une école de danse tandis que la narratrice, après des études universitaires trouvera un emploi d’assistante d’une star mondiale qui se pique d’humanitaire.

Ce roman a un spectre très large quant aux sujets abordés à travers l’histoire de ces deux fillettes : le racisme, l’intégration, les dérives de l’humanitaire, la mondialisation, internet et les réseaux sociaux.

Ce qui en fait un miroir fidèle de notre société actuelle.

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Quel titre bien trouvé pour ce roman qui pétille, ce feu d’artifice de personnages, de lieux, de situations, de thèmes aussi ! Certains s’en plaindront à coup sûr. Je m’en suis au contraire régalée. Parce que dans toute cette profusion, ce foisonnement, l’émotion domine, les coeurs battent à tout rompre, la danse folle et endiablée de la vie entraîne chacun des protagonistes là où ils n’imaginaient même pas aller. Et parfois sans possibilité de retour.
Si vous êtes prêts à vous lancer dans ce tourbillon, lâchez tout, oubliez le reste du monde et lancez-vous dans la danse !
Nous sommes dans une cité des quartiers nord-ouest de Londres en 1982. Deux gamines métisses se rencontrent au cours de danse de Mlle Isabel : Tracey et la narratrice. (Zadie Smith est elle-même née à Londres en 1975 d’un père anglais et d’une mère jamaïcaine.) Elles se passionnent toutes deux pour les comédies musicales mettant en scène Fred Astaire, Ginger Rogers (le titre du roman renvoie d’ailleurs à un film de George Stevens de 1936 dans lequel leur duo est complètement mythique !), Gene Kelly, Bill Robinson, Jeni Le Gon dont elles imitent les moindres jeux de pieds, sauts de cabris et pas glissés. Les gamines regardent en boucle ces comédies musicales hollywoodiennes sur le magnétoscope de Tracey en se gavant de sucreries.
L’enfance, le bonheur…
L’une, Tracey, est gâtée-pourrie par une mère qui joue à la poupée avec sa fille, la couvre de bijoux de pacotille et de paillettes, déverse la hotte du Père Noël dans sa chambre, lui achète un magnifique tutu, l’encourage à poursuivre ses études de danse. Tracey est douée et elle compte bien en tirer profit !
Au contraire, la narratrice manque de talent et ses pieds plats y sont pour quelque chose. Mais cela n’inquiète pas sa mère, bien au contraire : en effet, cette mère-intello-autodidacte a repris ses études, passe tout son temps le nez dans les livres, milite pour de nombreuses causes. « La plupart des samedis… j’accompagnais ma mère à telle ou telle manifestation, contre l’Afrique du Sud, contre le gouvernement, contre l’arme nucléaire, contre le racisme, contre les coupures budgétaires, contre la dérégulation financière, pour soutenir les syndicats enseignants, le Conseil du Grand Londres ou l’IRA » se plaint la narratrice. La mère s’engage à gauche, lutte contre les inégalités, se met au service de la collectivité en bonne marxiste qu’elle est. Bref, c’est une femme qui en veut et qui refuse de prendre la place que la société lui impose. Elle ne passera pas son temps aux fourneaux ni à s’occuper du linge. Quand elle travaille, la narratrice et son père sont priés de quitter l’appartement pour aller prendre l’air.
C’est pourquoi, elle souhaite que sa fille quitte cette cité dont, selon elle, elle ne tirera rien de bon. Pas question de l’habiller en poupée ni de la voir se passionner pour des cours de danse qu’elle trouve ridicules. Inutile de préciser qu’elle voit d’un très mauvais œil la relation amicale qu’elle entretient avec Tracey. Quant au père, il n’a pas son mot à dire : il subit, se tait, fier au fond d’être le mari d’une telle femme !
Comme vous vous en doutez, le destin séparera les inséparables : l’une poursuivra son école de danse, s’évertuant par la suite à trouver quelques rôles pour survivre, et l’autre achevant une scolarité plus classique et finissant par travailler pour une pop star internationale (dont elle s’est faite l’esclave selon sa mère), une certaine Aimee, espèce de Madonna ne sachant plus quoi faire de son argent et décidant de se lancer dans l’humanitaire en ouvrant une école pour filles en Afrique… Il s’agit là, je dirais, d’un autre « versant » du roman qui va un peu nous éloigner de la relation Tracey / la narratrice mais qui est totalement passionnant en raison des questions qu’il pose.
Des chapitres croisés nous feront suivre en parallèle et sur des époques différentes le destin de chacune de ces deux gamines qui, malgré des vies radicalement différentes, ne s’oublieront finalement jamais.
Si vous avez aimé les romans d’Elena Ferrante, vous ne pourrez qu’être emportés par cette fresque romanesque aux multiples personnages si vrais et si bien campés qu’on les croirait vivants !
Ce roman d’apprentissage aborde une foule de sujets tels que celui de l’amitié, de l’identité, de l’éducation, du rôle des femmes dans la société, de la relation mère-fille, de l’engagement politique, du racisme, du déterminisme social… Oui, la liste est longue mais le roman jongle parfaitement avec tous ces thèmes. Bel exercice mené par une virtuose !
Swing Time est un texte très rythmé mettant en scène de grands bonheurs, de beaux espoirs mais aussi d’amers constats et de profondes désillusions que ce soit dans les relations entre les gens ou les grands projets qu’ils entreprennent.
Telle est la vie.
Harmonieux pas de danse, sauts de l’ange et chutes cruelles.
Et ce, dans un monde qui bouge tellement qu’il semble bien difficile de se tenir en équilibre…
Une œuvre pleine de vie et dont vous sentirez le coeur battre…
Indispensable !

Retrouvez Lucia Lilas sur LIRE AU LIT 

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