Un dimanche de révolution
Wendy Guerra

BUCHET CHASTEL
aout 2017
216 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

La Havane mon amour

L’œuvre de Wendy Guerra est censurée à Cuba, son propre pays ; troublante ressemblance avec l’héroïne de son roman, une poétesse soupçonnée d’être un agent double. Avec finesse et fantaisie, Wendy Guerra raconte la négation de la culture par un régime méfiant et ubuesque.

Cleo est une poétesse cubaine de trente ans, qui vient de perdre ses parents, chercheurs au Pôle scientifique de La Havane, dans un accident de voiture peut-être ordonné par le régime même. Terrée chez elle depuis des semaines, Cleo s’enfonce dans la dépression, lorsque son éditrice espagnole l’appelle, l’invitant à recevoir un prix pour son recueil de poèmes, impubliable à Cuba. Après une tournée promotionnelle à l’étranger, elle est bien décidée à reprendre sa vie en main et à se remettre à écrire. C’est sans compter la méfiance dont elle fait l’objet : hors de Cuba, Cleo est soupçonnée de travailler pour les renseignements de son pays, tandis que celui-ci l’accuse d’être une espionne. Il y a de quoi perdre la raison. Surveillance, mise sur écoute, perquisitions, intimidations, son quotidien est invivable.

Tout se complique encore lorsqu’un acteur américain frappe à sa porte pour lui demander de participer à un film sur son père, tout en lui apprenant que celui-ci n’était pas son vrai père, et qu’elle-même est née à Washington, en « territoire ennemi » ! Coup de tonnerre, séisme pour notre auteure déjà fragile. Toutes ses certitudes volent en éclats, et la question identitaire vient se greffer à celle de l’écriture : qui est-elle en réalité, quel est sa véritable patrie quand elle est partout rejetée, suspectée de trahison et d’espionnage ? Avec une mélancolie poétique teintée d’humour, ce roman raconte un paradoxe, l’impossibilité de croire à l’utopie déchue de Cuba, en même temps que l’incapacité de vivre ailleurs. Cleo est une énigme, une prisonnière consentante, alors qu’elle est harcelée jusque dans sa propre maison. Elle voudrait partir, mais revient toujours, car privée de son île, Cleo n’existerait pas ; nœud gordien qui la mènera jusqu’au point de non-retour absurde.

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CUBA A LA FOLIE

La littérature d’un pays peut révéler, d’une manière convaincante et efficace, les réalités de la société décrite par ses auteurs, ses blocages, ses drames, ses souffrances. C’est le cas de Cuba, pays de l’espérance révolutionnaire tiers-mondiste dans les années soixante, puis le théâtre d’un développement inexorable de la répression vis-à-vis de ceux qui « pensent autrement », les dissidents .Roberto Ampuero avait fort bien décrit la perversion des idéaux de l’origine dans son roman « Quand nous étions révolutionnaires. » Zoe Valdès avait évoqué cette situation de l’artiste confronté aux limitations de sa liberté d’écrire dans « Chasseuse d’astres »

Dans Un dimanche de révolution, Wendy Guerra reprend cette thématique, celle de la situation de l’artiste, de son identité face à un régime hostile, omniprésent, s’immisçant sans cesse dans la vie privée des citoyens, au point de l’anéantir ou de la rendre très illusoire.
Cleo est une poétesse, une romancière d’origine cubaine, elle cherche la reconnaissance littéraire mais ne l’obtient guère. Elle est en permanence la proie du soupçon : celui des exilés cubains, qui la prennent pour un sous-marin du régime, et celui des Cubains de l’intérieur, restés dans l’île pour des raisons d’opportunisme, de conformité intellectuelle « Ils voulaient un final épique, dans le style soviétique, car c’était leur référence même s’ils la repoussaient, la niaient et la déchiquetaient dans leurs gestes quotidiens ; telle était leur formation : soviétique. »

Ce qui est magistralement décrit, ce sont les états psychologiques par lesquels passe l’héroïne : la solitude, la paranoïa provoquée par une surveillance bien réelle et des perquisitionne répétées de son domicile, les interrogations sur son œuvre littéraire .Pour qui écrit-on ? Au nom de quoi ? Les passages les plus émouvants concernent ce qui anéantit l’identité, la personnalité, la singularité des individus : « Ce mépris, cette posture collective kaki glorifiée et pérenne brevette la virilité et l’uniformité (…) écrasant ainsi tout soupçon d’individualité, de délicatesse, touche personnelle ou clin d’œil d’indépendance visuelle. » Mais ce roman va plus loin encore, il se poursuit par une révélation faite à Cleo par l’un des ses amis Geronimo Martines, un acteur originaire du Nicaragua .Cet aveu concerne ses liens de paternité, elle ne serait pas Cleopatra Alexandra Perdiguer mais la fille de mauricien Antonio Rodriguez né à Washington DC aux États-Unis ! S’ensuit une nouvelle interrogation pour Cleo : qui est-elle ? Américaine, Cubaine ? Elle va trouver la solution dans le départ de Cuba mais elle ressent immédiatement le déchirement de l’exil : « Nous avons décollé .Je sentais Cuba se détacher progressivement de mon corps, mon âme tenter de soutenir la terre(…) Sans Cuba je n’existe pas .Je suis mon île. » Ce roman séduira par la finesse des descriptions, par la profondeur des interrogations soulevées par Wendy Guerra .La sauvegardent de l’identité, le prix de la vie intérieure y trouvent une place essentielle, et c’est heureux.

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