Vocatif suivi de Surimpressions
Andrea Zanzotto

Traduit par Philippe Di Meo
Maurice Nadeau
janvier 2017
368 p.  22 €
 
 
 
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coup de coeur

Le poète des deux rives

Les éditions Maurice Nadeau nous donnent à lire la trajectoire du célèbre poète italien Andrea Zanzotto (1921-2011) en publiant de conserve deux recueils écrits aux extrémités de sa vie. « Vocatif » (1957) et « Surimpressions » (2001) disent l’ancrage dans la terre natale et la réflexion inlassable sur la langue poétique qui occupa l’écrivain toute sa vie.

Après avoir vécu quelque temps à l’étranger, Andrea Zanzotto revient s’établir dans son village natal de Vénétie : « jeune et malheureuse / mon âme revient ici ». Le fils prodigue regagne son berceau et renaît, plein de reconnaissance : « Père, tu ôtes une couche de neige / de mon corps, et tu es / le soleil qui brusquement m’anime ». Il chemine à travers le paysage âpre, pierreux, brûlé de soleil, où la « vigne désossée malchanceuse » semble surgir d’un tableau expressionniste. Mais le pays de l’enfance porte aussi les stigmates des « martyrs » de l’histoire avec sa grande hache, de Diane chasseresse à Hitler. Las de répéter les élégies des poètes anciens, « dans le silence, [il] retombe », « la parole s’obscurcit, la gorge se repent ». L’aphasie guette le jeune poète qui, malgré la nature consolatrice, déplore l’aporie du langage.

Dans « Surimpressions » cette impuissance est exacerbée par une modernité au goût métallique : les termes « sida », « ecstasy » ou « acides » font leur entrée au dictionnaire poétique mis à mal par les « combustions convulsions / qui poussent le monde tout alentour / dans un futur dans un revers sans retour ». Zanzotto possède une conscience aiguë de la défiguration de la Vénétie par la pollution, et fustige l’industrie et ses « senteurs […] toxiques à en crever ». Pour se préserver du « tohu-bohu », il se tourne vers les « pensées d’hier / comme fragments de diamants », mais le signifiant bégaie, s’englue dans les répétitions et les borborygmes. Voulant s’élever au-dessus du globish et de la stridence d’un signifié « sous perfusion », Andrea Zanzotto ne cesse d’inventer un verbe apte à dire le monde, traquant le rêve d’une langue originelle, comme en témoigne ce voyage temporel poétique fulgurant.

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