Abraham et fils
Martin Winckler

P.O.L
fiction
février 2016
576 p.  22,90 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

La maison père

L’auteur de « La maladie de Sachs » et du « Chœur des femmes » publie un roman sensible, lequel raconte, à hauteur d’enfant, l’installation d’un médecin et de son fils de huit ans dans une petite ville du Loiret au début des années 60. Entre imaginaire et réalité, c’est aussi un peu l’histoire de Martin Winckler qu’on lit comme on suce un bonbon, doux et acidulé.

Un jour de printemps 1963, une Dauphine jaune s’arrête sur la place de Tilliers, au cœur de la Beauce. Un homme aux allures de John Wayne fatigué en descend : le Docteur Abraham Farkas est arrivé à destination. Son fils attend sagement à l’arrière de la voiture. De sa petite enfance et de sa mère, Franz ne sait rien, victime amnésique d’un « accident » survenu à Alger un an et demi auparavant. Son passé tient peu de place : un séjour aux Etats-Unis avant la venue en France, le pays de la dernière chance, où Abraham a répondu à l’annonce de cession du cabinet médical de Tilliers. Franz est ravi ; la maison de l’ancien docteur, un peu grande pour deux, possède une cave, un grenier, des escaliers secrets et un jardin avec une balançoire, bref, tout pour les rendre heureux. Une nouvelle vie commence alors. Le docteur Farkas est très apprécié de ses patients et les journées de Franz s’organisent entre l’école, la librairie, la bibliothèque et le marchand de journaux, où il se fournit en livres, en illustrés, en bandes dessinées, dévorant avec passion les aventures d’Arsène Lupin, « Vaillant », « Tintin », Jules Verne… Le dimanche, ils vont au cinéma, et c’est l’enchantement, encore plus grand que celui procuré par la diffusion de « Zorro » à la télévision. Peu à peu, l’enfant s’éveille et s’interroge sur son histoire oubliée, sur l’air soucieux accroché au visage paternel, autant de questions qui restent en suspens car Franz n’ose pas les poser et son père les évite. Mais chut, n’allons pas trop vite ; en un an et demi, Franz aura le temps d’observer, d’écouter et de comprendre ce qui est réellement arrivé. Et puis, il y a la maison (qu’on aurait adoré habiter !) qui recèle aussi ses propres mystères, véritable personnage à part entière, interpellant le lecteur et l’invitant à entrer dans le roman avec toute la bienveillance d’un hôte ravi d’avoir de la visite.

Voilà un roman merveilleusement attachant. On est friand du pain au chocolat du goûter, plus encore des lectures d’enfance à travers lesquelles le monde prend sens, et on ressent un plaisir infini à suivre Franz derrière les portes dérobées, à la recherche de la vérité, qu’on ne peut nommer tant qu’on ne l’a pas identifiée. Signe d’un gros coup de cœur : on n’a vraiment pas envie de prendre congé ; ça tombe plutôt bien, car Martin Winckler nous promet une suite…

 

partagez cette critique
partage par email