Autoportrait à la guillotine
Christophe Bigot

Stock
la bleue
janvier 2018
240 p.  19 €
 
 
 
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Je referme le livre de Christophe Bigot complètement bouleversée par cette voix qui dit toute la souffrance, la douleur d’un jeune garçon devenu un adulte qui n’a rien perdu de sa sensibilité dans un monde où la violence est (toujours) difficilement supportable.
J’ai senti beaucoup de sincérité dans cette œuvre, beaucoup d’émotion contenue dans ces mots qui tentent de trouver l’origine d’un malaise profond, d’une très désagréable impression : celle d’avoir été, un jour, guillotiné.
Bien sûr, dès les premières lignes, je n’ai pu m’empêcher de sourire en lisant cette phrase (qui n’est pas sans rappeler le « Longtemps je me suis couché de bonne heure » de Proust) : « Longtemps, j’ai cru que j’avais été guillotiné dans une vie antérieure. » En effet, l’auteur est persuadé qu’il a été « condamné puis décapité pendant la Terreur révolutionnaire. »
Pas facile de vivre avec ça en tête (sans jeu de mots!)
Donc, dans un premier temps, cet aveu amuse, puis petit à petit, la gravité l’emporte, le malaise s’installe. Cela dit, je vous avoue que j’ai ri aussi franchement (certaines scènes sont en effet hilarantes) car l’autodérision et l’humour de Christophe Bigot sont irrésistibles et l’ont aidé, je suppose, à mettre cette phobie à distance.
Il s’agit donc pour lui de comprendre l’origine de cette impression pour le moins étrange que la guillotine lui est familière, qu’il l’a, d’une certaine façon, déjà expérimentée.
D’abord, des constats : il n’est pas le seul à souffrir de ce mal : Claude Lanzmann dans Le Lièvre de Patagonie avoue partager les mêmes phobies. Bon, c’est toujours rassurant de ne pas se sentir seul.
Par ailleurs, si certains souffrent de choses dont ils ont pu être témoins, on peut comprendre leur traumatisme qui est en lien direct avec leur vécu : c’est en effet le cas de Victor Hugo qui fut confronté malgré lui, à plusieurs reprises, au terrible spectacle du supplice ou de sa préparation (ce qui explique d’ailleurs l’apparition récurrente de ce motif dans son œuvre et est à l’origine de l’écriture de son récit Le Dernier jour d’un condamné).
Mais dans le cas de l’auteur, il y a comme un léger anachronisme : cela fait un bail qu’on n’utilise plus la machine à raccourcir. Jamais il n’a assisté au spectacle de la guillotine, lui qui est né en 1976 ! Ah, me direz-vous, le 28 juillet de la même année, Christian Ranucci est guillotiné aux Baumettes. Toujours au même endroit et de la même façon, Hamida Djandoubi est exécuté le 10 septembre 1977. Bien sûr, l’auteur n’y était pas mais il était né à ce moment-là et rien que l’idée qu’il y ait eu de son vivant dans « ce beau pays qu’on appelle la France, un homme coupant un autre homme en deux » lui donne la nausée.
Mais ce sont peut-être des images, ah, le pouvoir de l’image, qui ont marqué à jamais le gamin : il a six ans, il regarde Le Chevalier de Maison-Rouge de Claude Barma d’après un roman d’Alexandre Dumas « La guillotine apparaît à l’écran. Je la vois pour la première fois. Pourtant, la silhouette sombre et étroite suscite en moi une horreur familière. Comment dire ici les choses au plus près de la situation éprouvée, et alors même que celle-ci a toutes les apparences d’une affabulation ? Je ne vois pas la guillotine. Je la reconnais. », « C’est parce que je l’ai senti autrefois que je sens de nouveau, sur ma nuque, la chute du triangle ferrugineux de rouille et de sang. J’ai été là, nécessairement, parmi les condamnés qui attendent, au pied de la charrette. »
Les visionnages de ce film seront nombreux, toujours accompagnés d’angoisse, de terreur, d’interrogations. La question demeure : pourquoi ce sentiment ?
L’adolescent se passionne pour la Révolution : tout y passe :  romans, BD, magazines, films, spectacles, visites (de La Conciergerie), collection de figurines, d’images, rédaction de récits, de pièces de théâtre, disques, jeux (évocation hilarante d’un quizz sur Charlotte Corday au chapitre 31), dessins, recherches encyclopédiques, création d’un club, d’un spectacle de fin d’année au moment du Bicentenaire de la Révolution.
L’identification se précise : il a été Camille Desmoulins, d’ailleurs sa mère ne lui apprend-elle pas qu’elle avait pensé l’appeler Camille ?
Alors, d’où vient cette phobie ? Quel symbole freudien ou non faut-il y voir ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette obsession qui lui pourrit la vie ? Faut-il aller chercher du côté du père, de la mère, des grands-pères, des grands-mères ? Y a-t-il de l’Oedipe là-dedans ? Quelle peur, quelle culpabilité faut-il y déceler ? Et surtout, comment réagir face à cela ? Jouer à l’autruche ou bien tout secouer, tout retourner, interroger, s’interroger pour tenter de comprendre, pour tenter de mettre fin à une souffrance qui dure depuis l’enfance ?
Car c’est ce que j’ai senti en lisant cette autobiographie, derrière cet humour et cette autodérision, derrière des chapitres qui m’ont fait pleurer de rire (ah l’évocation des cours de natation, des remontées mécaniques, ah l’épisode de la communion…), donc, disais-je, malgré toutes ces scènes mémorables, on sent, à fleur de peau, un être hypersensible et fragile, en souffrance, qui a dû (doit?) encore en baver même si l’âge donne des forces et permet de mieux prendre ses distances par rapport au vécu.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce texte, sa sincérité, le courage qu’a eu son auteur de se mettre à nu, seul moyen d’avancer peut-être.
Un vrai coup de coeur de cette rentrée littéraire!

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