critique de "Celle que vous croyez", dernier livre de Camille Laurens - onlalu
   
 
 
 
Celle que vous croyez est un roman de camille laurens qui est chroniqué sur onlalu
 

Celle que vous croyez
Camille Laurens

Gallimard
blanche
janvier 2016
192 p.  17,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Quand l’amour ne joue pas avec le hasard

Adorer ce roman quand on se méfie des réseaux sociaux, que l’on fuit Facebook et que l’on passe pour un mammouth parce qu’on ne possède pas de compte personnel, et donc ni mur à admirer, ni amis à liker, quel comble! Cette ironie ne devrait pas déplaire à Camille Laurens, elle qui maîtrise parfaitement le fonctionnement de cette plate-forme virtuelle, où se trame l’intrigue de son dernier livre. C’est l’histoire de Claire Millecam, une professeure de littérature comparée. Blonde et fraîchement divorcée, elle a deux enfants, 48 ans, et donc pas encore dépassé « la date de péremption » qui s’abat sur les femmes comme un couperet, à la cinquantaine. La solitude la paralyse. Elle a « besoin d’amour, au moins de le faire, d’en parler, d’y croire ». Et rester sans nouvelle de son amant Joël, dit Jo, la rend dingue. Alors elle décide de créer un faux profil Facebook sous l’identité de Claire Antunès. Avec pour photo celle d’une jolie brune, de vingt-quatre ans, soit exactement la moitié de son âge. Ne parvenant pas à « suivre » Jo directement, Claire envoie « une demande d’amitié » à Chris, le pote photographe qui vit avec lui et répond au pseudo de KissChriss. Au départ, elle compte seulement se tenir au courant, et espionner à distance les faits et gestes de Jo. Mais KissChriss tombe très vite amoureux de son double virtuel. Claire se retrouve ainsi prisonnière de cette liaison dangereuse qui se noue sur la Toile, où elle joue tour à tour l’araignée et le moucheron.

On n’en dira pas plus sur l’intrigue, car ce formidable roman ne manque pas de suspense et ce serait vraiment dommage de le gâcher. Mais il faut préciser que sa réussite tient autant à l’histoire racontée qu’à sa construction. Camille Laurens multiplie les mises en abyme avec virtuosité et s’amuse à démultiplier les effets de miroirs entre le réel et le virtuel. Si son personnage possède plusieurs adresses sur Internet, l’auteure ne manque pas non plus d’adresse. Claire se joue de Chris, tandis que Camille nous manipule nous, lecteurs. C’est jouissif et cela donne le vertige. Un vertige délicieux, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui ressenti avec « D’après une histoire vraie » de Delphine de Vigan.

Camille Laurens ne raconte pas seulement une histoire d’amour qui finit mal. Elle donne corps à une femme qui ne se sent vivante que désirante, s’accroche au désir pour ne pas mourir. Ce désir qui échappe à Claire, et que Camille Laurens glisse entre les pages de son livre est « à la fois puissance vitale et mélancolie folle ». Parce qu’elle écoute les mots qu’elle écrit, Camille Laurens parvient à les faire résonner, à leur donner tout leur sens. Plusieurs directions et autant de significations.

Lire notre interview « Quelle lectrice êtes-vous Camille Laurens ? »

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 Les internautes l'ont lu

Madame Bovary au temps de FB

Claire Millecam, 48 ans, s’inscrit sur Facebook sous un faux profil, celui de Claire Antunes, 24 ans. Elle devient « l’amie » de Kriss, le grand copain de Jo, son amant qu’elle veut pister. Cupidon FB décoche sa flèche. Claire n’est pas celle qu’il croit et s’abimera. Un livre à plusieurs voix où le faux et le réel se mélangent. Une réflexion sur le désir amoureux, le désir tout cours, une colère sur le regard que portent les mâles sur les femmes mâtures. Claire Antunes est l’avatar de Claire Millecam, Claire, celui de Camille Laurens? Hospitalisée pour « une décompensation sévère » Claire se confie à Marc le psy. J’ai cru à son histoire tout comme aux révélations de Marc et aux lettres de Camille Laurens à son éditeur. C’est là, la grande force de l’auteur, brouiller les cartes du vrai, du vraisemblable et du roman. En filigrane, la femme de cinquante ans « Quel super-pouvoir acquièrent les femmes de cinquante ans ? – Elles deviennent invisibles. » La perte du regard de l’homme « N’exister que dans leur regard et mourir quand ils ferment les yeux. » Que cherche vraiment Claire, le désir dans le regard des hommes ou son propre désir ? Que n’a-t-elle d’autres passions ! J’ai aimé ce jeu pervers, trouble, le ton ironique, les réparties quelques fois cruelles, une écriture douce-amère où le jeu de mots peut être saignant « Enseignante ? En saignant aussi, quelquefois. » Roman où mensonge et réalité conduisent à la folie jusqu’à la rédemption par l’écriture.

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Entre réel et virtuel, un jeu de miroirs facétieux et intelligent.

« L’amour est un roman que quelqu’un écrit sur vous. Et réciproquement ». De là à dire que nous sommes tous des romanciers en puissance, il n’y a qu’un pas que Camille Laurens franchit avec une jubilation palpable et une liberté revendiquée. S’amusant à brouiller les pistes, à sans cesse renouveler l’histoire avec les mêmes ingrédients. Tout en assénant quelques vérités bien senties que l’on a toutes envie d’applaudir, tellement c’est bien vu. C’est donc à un roman multi-facettes que nous avons affaire… Qui traite à la fois du tragique de la femme de 50 ans qui se voit soudain signifier sa date de péremption, de l’inanité des relations humaines envahies par le virtuel mais également du désir et de l’écriture. Ce monde virtuel qui augmente nos capacités à brouiller et à transformer le réel, quelle matière idéale pour un romancier ! Il y a donc une Claire (pas très nette, comme son nom ne l’indique pas), la petite cinquantaine, internée depuis deux ans dans une unité psychiatrique et racontant à son psychiatre, Marc, ce qui l’a menée jusqu’ici. Nous découvrons ainsi l’histoire de cette femme meurtrie par la désinvolture de son amant Jo, et qui décide de l’espionner grâce à un faux profil Facebook par l’intermédiaire duquel elle entre en relation avec Chris, ami proche de Jo. Elle devient donc une jeune Claire de 24 ans (la moitié de son âge réel), travaillant dans la mode (et non professeur d’université), etc. La relation virtuelle prend de plus en plus d’importance, Chris tombe amoureux de la fausse Claire, bref, on se doute que l’on court au drame… Mais. Est-ce bien la réalité ? Marc, le psy s’interroge en lisant le récit de Claire lors des ateliers d’écriture auxquels elle participe dans son processus thérapeutique. Des ateliers animés par une certaine Camille (tiens, tiens), elle-même écrivain et donc toujours en quête d’inspiration… Quand je vous dis que l’auteure s’amuse à brouiller les pistes… Le reste, il faut le lire. C’est direct, parfois cru, facétieux et très maîtrisé. Outre la magnifique démonstration de l’écrivain sur son art, il y a des pages superbes sur l’écriture, le désir d’écrire qui se mêle au désir tout court. Et le portrait d’une femme qui tente de continuer à exister, à aimer, à désirer malgré les signaux que lui renvoie une société prompte à jeter ce qui n’est plus de première fraîcheur. Aussi ludique qu’intelligent. « Nous inventons tous notre vie. La différence, c’est que moi, cette vie que j’invente, je la vis. Et que, comme toute créature, elle échappe à son créateur. Tu vas dire, si tu es mal luné, que je ne la vis que pour pouvoir l’écrire, que la vie n’est qu’un prétexte à l’écriture. Mais c’est tout le contraire. La vie m’échappe, elle me détruit, écrire n’est qu’une manière d’y survivre – la seule manière. Je ne vis pas pour écrire, j’écris pour survivre à la vie. Je me sauve. Se faire un roman, c’est se bâtir un asile ».

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coup de coeur

Celle que vous croyez

C’est mystérieux, le désir. On veut de l’autre quelque chose qu’on n’a pas ou qu’on n’a plus. » Claire, quarante-huit ans, divorcée, crée un faux profil facebook, où elle se rajeunit allègrement et emprunte la photo d’une inconnue, pour surveiller son amant volage. C’est évidemment de ce faux profil que va tomber amoureux KissChris, un jeune homme qui se dit photographe. Comment passer du virtuel au réel sans pour autant faire disparaître le désir ? Comment Christophe réagira-t-il en apprenant l’âge de sa belle ? à ses interrogations s’ajoute une mise en abîme du récit qui à chaque fois est envisagé sous une perspective différente, pour mieux brouiller les pistes et interroger les frontières entre réel et fiction, réel et virtuel. à cela s’ajoute un magnifique portrait de femme quinquagénaire, sans concessions sur la place qui lui est réservée dans la société occidentale ; une femme qui entend bien ne pas s’effacer et revendique son désir. Papesse de l’autofiction, Camille Laurens se joue ici des codes du genre et nous livre un roman brillant, plein d’énergie et de surprises… J’avais beaucoup d’a priori sur cette auteure, ils ont été pulvérisés par cette première lecture ! Un grand coup de cÅ“ur !

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J’avais perdu dans les grandes largeurs perdu de façon perdissime

Dans ce roman, il y a deux Claire et une Camile et une Katia. Il y a un amant aussi, un amour virtuel – ou peut-être deux amants, un mari, un psy et un vidéaste. Un avocat également, un éditeur, des comptes-rendus professionnels, des confessions, un roman en cadavre exquis, des lettres et des conversations transcrites. Le tout forme un ensemble étourdissant qui pousse le lecteur dans un sens puis dans l’autre et qui reprend des éléments précédents pour mieux les brouiller. ça commence par Claire, 48 ans, internée à sa demande (et qui revient toujours en asile à chaque fois qu’elle en est « libérée »). Prof, divorcée, elle s’est embarquée dans une relation virtuelle qui l’a détruite (« Il arrive qu’un amour qui ne peut avoir lieu dévore l’âme. » Pascal Guignard) Elle la raconte à un énième psy qui s’en mêle (contre toute déontologie). Pour se défendre, il donne à lire un roman qu’elle avait écrit en cours de traitement, dans le cadre d’un atelier d’écriture assuré par une certaine Camille. Dont on retrouve ensuite la longue lettre qu’elle adresse à son éditeur, avant de… bref, plusieurs interlocuteurs qui ne racontent pas la même histoire et pourtant ce sont bien les mêmes protagonistes… C’est très prenant, surprenant, empli de culture et d’érudition et difficile de ne pas être d’accord avec le constat amer relatif au vieillissement féminin – ou plus exactement à la façon dont il est perçu par notre société. Beaucoup de choses sonnent très justes, je ne suis pas assez familière du travail de Camille Laurens pour connaître exactement sa relation avec l’autofiction mais lu comme un roman (totalement fictionnel, donc), il y a un impact, un fébrilité qui s’installe et j’ai aimé ça, on ne reste pas indifférent. Même aux moments qui nous rejoignent moins.

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coup de coeur

un roman vertigineux…

Il est de certains livres dont on sait, à l’avance, qu’ils vont nous plaire: les sonorités d’un nom peut-être, un titre qui semble vous faire signe, que sais-je… En tout cas, je ne me suis pas trompée et je vous promets que lorsque vous aurez parcouru les premières pages de ce livre, le vertige vous prendra car c’est un roman qui vous fait longer un précipice, le précipice des apparences et des faux-semblants. Lisons tout d’abord la quatrième de couverture:  » Vous vous appelez Claire, vous avez quarante-huit ans… » Qui? Moi? La lectrice? Ou quelqu’un d’autre? L’auteur? Un personnage? Des personnages peut-être…? Nous sommes ici au coeur du sujet: l’identité et la question de savoir ce qui nous fait exister aux yeux des autres. Claire, la narratrice, celle qui a 48 ans, est maître de conférence en littérature comparée. Un peu le genre de personne « qui se demande comment on peut vivre sans avoir lu Proust. » Elle est divorcée, a deux enfants et un amant Jo. Or, pour surveiller son amant volage, elle a l’idée de se créer un faux profil Facebook afin d’entrer en contact avec l’ami de l’amant, Chris. Ça va, vous me suivez? Tenez-vous bien car c’est beaucoup plus complexe que cela! Elle veut, en effet, pouvoir discrètement prendre des nouvelles de son amant, Jo, par l’intermédiaire de Chris, le copain, qu’elle ne connaît pas. Mais, à force d’échanger avec l’ami de l’amant, elle finit par tomber amoureuse… de lui, de celui qu’elle n’a jamais vu et qui pense qu’elle est une belle brune de vingt-quatre ans, célibataire et passionnée de photo! La manipulatrice est prise à son propre piège, le piège de la toile, sans mauvais jeu de mots. Mais, allons plus loin encore: et si Claire finissait par être la femme qu’elle s’est créée sur Facebook, pas un double, une autre. Celle qui lui permet encore de séduire, d’attirer, d’exister et d’oublier celle sur qui on ne se retourne plus, celle qui « porte plainte, qui signale sa disparition… car disparaître de son vivant reste une épreuve. » Et pourquoi ne la voit-on plus, me direz-vous? Parce qu’elle n’a plus vingt ans: « Hier fantasme, aujourd’hui fantôme. » Triste sort que celui de la femme qui vieillit, qui veut jouer encore mais qu’on ne voit plus, qui n’existe plus: « Le problème dans le jeu de cache cache, c’est quand vous restez cachée sans que personne s’en aperçoive. » Alors, Claire se « coule dans son personnage avec l’aisance des comédiens. » Elle joue, se compose un rôle. Et puis, la voix, c’est important, mais est-ce suffisant? Il faut donc prendre une décision: dire qui on est vraiment. Après tout, l’aspect physique a-t-il tant d’importance? Ou bien, ne pas prendre de risques, s’effacer, se retirer, désactiver son compte et disparaître, quitter la fiction que l’on s’est créée et remettre les pieds sur terre, dans le réel. Et ce peut-être violent, à moins que l’on imagine des échappatoires, par l’écriture, la fiction. Alors, on peut inventer, s’inventer des vies, s’appeler Claire, Camille ou bien Katia… Comme le dit Virginia Woolf citée p 140: « …il ne s’est rien passé tant qu’on ne l’a pas écrit. » Heureusement, il nous reste encore cela…

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