La Cheffe, roman d'une cuisinière
Marie NDiaye

Gallimard
blanche
octobre 2016
288 p.  17,90 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Marie NDiaye nous régale

Marie NDiaye est une romancière remarquable. Déjà primée pour « Rosie Carpe » et « Trois femmes puissantes », elle est toutefois réputée pour son style sinueux et la noirceur d’histoires qui résistent parfois au lecteur. Mais ici, une simplicité et un classicisme nouveaux dans le ton s’accordent à son personnage humble et complexe de cheffe cuisinière.

L’histoire de la Cheffe est racontée par un narrateur mystérieux, qui a exercé en tant que second de la cuisinière, éperdu d’amour et d’admiration pour son ancienne patronne. Née dans les années 1950, celle-ci n’est encore qu’une adolescente issue d’une famille pauvre du Lot-et-Garonne lorsqu’elle est placée comme bonne chez des petits bourgeois de province. Là, elle fait ses classes en observant la cuisinière du couple qui ne vit que pour manger.

Une véritable artiste

A la faveur d’un été, elle remplace cette dernière et régale ses employeurs de sa cuisine exigeante, étudiée et respectueuse des produits. Plus tard, la Cheffe ouvre son propre restaurant à Bordeaux, qui sera étoilé avant de déchoir. Ce qu’elle a construit, la Cheffe ne le doit qu’à elle-même, à son obstination, à son exigence, se pliant à une véritable ascèse qui l’élève au rang d’artiste – même si elle récuse ce terme -, sa cuisine inspirée visant à toujours plus d’épurement. Pour son métier, elle a tout sacrifié, vie privée comme vie sociale, et sa fille, cette faille secrète, deviendra sa pire ennemie. En effet, malgré sa réussite et une rigueur qui confine à l’insensibilité, sa passion l’absorbe tout entière et la rend inapte à la vie, elle qui ne sait que donner avec une discipline quasi mystique, mais ne sait rien recevoir, ni honneurs ni amour.

Ses thèmes de prédilection

Marie NDiaye déploie une phrase voluptueuse qui s’enroule autour de ce petit bout de femme taiseux au « cœur de brique ». Elle ne donne jamais dans la caricature, continuant d’explorer ses thèmes de prédilection : la filiation et la transmission à travers quatre générations de femmes. Le mot « roman » du titre n’est pas anodin, qui fait bien sûr référence au récit, mais aussi à la matérialité du livre en train de s’écrire (à qui s’adresse le narrateur en fin de compte ?), autant qu’à la geste de la cuisinière, véritable héroïne tragique ou hagiographique, cœur simple ou esprit habile. Voici en tout cas un grand roman qu’on dévore sans réserve !

partagez cette critique
partage par email