La légende
Philippe Vasset

Fayard
août 2016
240 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
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De soufre et d’encens

Voici l’un des romans les plus originaux de ces derniers temps : une histoire de prêtre défroqué, ancien préposé à la Congrégation pour la cause des saints du Vatican. En clair, le personnage enquête sur les demandes de béatification, préliminaire à la canonisation. Pour accéder au catalogue des saints, il faut en effet des preuves de miracles, une validation de reliques : beaucoup d’appelés et peu d’élus.

Notre narrateur, ex-prêtre français installé depuis vingt ans à la curie romaine, fonctionnaire dans la bulle pontificale, se retrouve du jour au lendemain à faire le guide pour les touristes de la place Saint-Pierre. Il faut dire que ça n’allait plus très fort depuis quelque temps, il en avait assez de recenser les petites histoires tièdes de béatifications gentillettes. En bovaryste de la sainteté, il aime les vies romanesques, affectionne les martyrs, les larmes de sang, les plaies qui suppurent, bref, les saints qui ont de l’allure. C’est pourquoi il regrette le baroque, le théâtral, les vocations extraordinaires, les récits de vie hauts en couleur de la « Légende dorée » qui impressionnaient les fidèles et exaltaient la foi. Or, l’heure est à la discrétion, presque au jansénisme, on ne veut plus d’emphase ni de combats de consciences déchirées ; la béatification est devenue la remise d’une « décoration pour services rendus » : circulez, il n’y a plus rien à voir. Dans ces conditions, comment concilier sa passion du rêve et du mystère et les comptes rendus bureaucratiques à la petite semaine ? Eh bien, c’est dans les marges qu’il trouve son public et assouvit ses désirs de sublime, à ses risques et périls. Il fréquente les églises abandonnées de Rome et de sa périphérie, vénère avec discrétion son petit panthéon personnel et rencontre un jour une jeune femme qui s’intéresse de très près à son jardin secret.

En dire davantage serait un sacrilège. Le prêtre ouvre les portes de la petite cour vaticane avec suspens et mise en scène et, parallèlement à ce versant satirique, parfois franchement comique (Philippe Vasset possède indéniablement le sens de la formule), il transcrit de nouveaux récits de vie, ceux des héros de notre temps. Dans une mélancolie des lisières évolue tout un chœur de personnages, artistes des rues, noctambules insaisissables et anticonformistes des souterrains qui poursuivent une quête transcendante en dehors de tout système, tout en fabriquant des légendes urbaines. C’est étonnant, réjouissant et drôlement bien troussé !

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Cachez ce saint…

C’est en grande partie dans la Villa Médicis que le livre de Philippe Vasset La Légende a été rédigé : lieu idéal pour parler du thème central du roman, décrit en ces termes par l’auteur lui-même : « Je me suis plongé dans le plus grand studio de fiction au monde : le Vatican, et plus particulièrement, l’administration du récit religieux qui s’appelle l’administration pour la cause des saints, bureau au Vatican où les gens passent leur vie à raconter des vies de catholiques illustres. » C’est effectivement le cas du narrateur, un prêtre défroqué et tourmenté, qui joue les guides pour les congrégations étrangères place Saint Pierre. C’est son mode de survie. Il a visiblement du mal à s’habituer à sa nouvelle existence : « Mal dans ces pantalons qui me serrent, je regrette la caresse de la soutane. Faire mes courses est un supplice : j’achète au hasard et le plus vite possible des ingrédients que je cuisine n’importe comment. Auparavant, je ne m’inquiétais de rien : tous les jours, c’était réfectoire et, une fois par semaine, des sœurs faisaient ma chambre. » Il a même dû changer de nom : reprendre son identité de laïc. Et ça, c’est peut-être le plus dur. Que s’est-il passé ? Il a été pendant vingt ans « homme de dossiers ». De quels dossiers, me direz-vous ? De quelle mission était-il investi ? Il appartenait à la Congrégation pour la cause des saints et était une sorte de « greffier des vocations extraordinaires » comme le dit l’auteur, évoquant ces « greffiers de sainteté qui sont aussi scénaristes et écrivains ». Or, s’il se devait de raconter la vie des saints, il lui fallait scrupuleusement vérifier, comme un enquêteur, le bien fondé de ce qui est dit à leur sujet, en supprimant si possible les propos trop fantasques, en gommant les outrances : « recadrer, tâcheronner et affadir, tel était mon rôle ». Mais, le narrateur ne partage visiblement pas cette vision des choses : pour lui, l’histoire des saints est « un outil de conquête des âmes ». Il faut donc frapper les esprits, adapter le propos à l’époque pour remplir de nouveau les églises. De plus, tel un romancier, le narrateur aime raconter : ces vies de saints sont une source inépuisable d’éléments romanesques dont il serait dommage de se priver et, plutôt que de les placer dans l’ombre, il aurait souhaité les mettre sous les projecteurs telles des rock-stars, crier haut et fort leurs actions démesurées et folles en tirant un feu d’artifice… « Au lieu de saisir les saints dans leurs tremblements, j’en faisais des employés modèles et des ouvriers du mois. Je gâchais de la chair à sermon à longueur de semaine, quand j’aurais pu monter de spectaculaires numéros de dévotion ». Ce qui lui plaisait ? « Les mortifications scandaleuses, les révélations obscures et les miracles invraisemblables ». Ses saints préférés ? « Le saint jongleur Bosco, qui fascinait ses ouailles en marchant sur les mains », « le célèbre Antoine, qui aurait pu prétendre au titre de patron des dompteurs tant il était capable… de dominer les lions qui visitaient sa grotte », Suzanne Foccart, Gianfranco Maria Chiti… La liste n’est évidemment pas exhaustive et de commenter : « il fallait couper les ailes de ces virtuoses et les faire entrer au chausse-pied dans des tabernacles étroits comme des bocaux. » alors qu’il les rêvait « disco, pulp et kitsch ». Les écrits de Joseph-Antoine Boullan le fascinent car pour cet homme d’Église « la sainteté n’était pas un exemple, mais un scandale, une folie que rien ne justifiait et qui… ne pouvait s’approcher que par la fiction. Et il s’en donnait à cœur joie : ses textes étaient des machines hors de contrôle, des générateurs échevelés de rubans narratifs, d’adverbes et de superlatifs ». C’est donc l’histoire d’un narrateur qui, comme le dit P. Vasset, « tombe dans la soupe de fiction qu’il touille depuis des années ». Et puis, il y a cette femme, Laure, qu’il rencontre dans un couloir de la Congrégation. Qui est-elle ? Où entraîne-t-elle le narrateur ? Où va-t-elle elle-même, s’offrant telle une sainte, corps et âme, à ceux qui sont là, autour d’elle pour disparaître soudain et réapparaitre ailleurs ? Qui sont tous ces inconnus qui se donnent à leur passion, se brûlant le corps pour taguer une rame de métro, risquant de mourir à la recherche d’un partenaire éphémère auquel ils s’offriront ? Aux marges de la ville sont les saints oubliés que le narrateur appelle à lui, citant leurs noms, un à un, comme il invoquait autrefois « l’immense cortège des saints et des archanges », le monde de ceux qui suivent leur vocation et s’abandonnent à elle dans la joie et la souffrance, entièrement, passionnément, jusqu’à l’inconnu. J’ai découvert un univers fascinant, celui de la vie des saints et de ceux qui ont comme métier de la raconter. Franchement, je n’avais jamais rien lu là-dessus. Le sujet et la façon dont il est traité m’ont passionnée. Enfin, l’écriture très maîtrisée de l’œuvre, sa dimension poétique et l’humour très présent ont achevé de me séduire. Une très belle découverte pour cette rentrée littéraire 2016…

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