Là où les chiens aboient par la queue
Estelle-Sarah Bulle

Liana Levi
août 2018
283 p.  19 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
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moderne créolité

E.Sarah Bulle plonge dans ses racines guadeloupéennes et déroule le fil d’une saga familiale haute en couleur. Elle fait parler son père et ses deux tantes (les soeurs de ce dernier) qui lui racontent pour nous leurs parcours, depuis l’enfance dans les quartiers pauvres de Morne-Galant en passant par leur vie de jeunes adultes à la Guadeloupe, pour finir par l’arrachement inévitable et leur installation en France. Destins croisés qui s’éloignent et se retrouvent de loin en loin, trois facettes d’une créolité lucide, que les vicissitudes liées aux réminiscences de la colonisation ne réussissent pas à priver de la joie de vivre.
La figure de femme forte qu’incarne Antoine, l’aînée, prend une place prépondérante et donne le ton de ce livre pittoresque pétri d’humanité.

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Saga guadeloupéenne

Antoine est l’aînée, non je n’ai pas fait de faute, d’une fratrie de trois enfants, Lucinde est la seconde et Petit-Frère, le puîné.
Au fait, pourquoi un prénom masculin ? Et bien, pour chasser le mauvais oeil, tout simplement.
Les Ezechiel, les Lebecq vivent à Morne-Galant, dans le trou du cul du monde ce que les guadeloupéens nomment « Là où les chiens aboient par la queue », avouez que c’est beaucoup plus élégant et drôle.  « Cé la chyen ka japé pa ké. » Je te le traduis puisque ton père ne t’a jamais parlé créole : « C’est là où les chiens aboient par la queue. »».
Bref, La fille de Petit-frère, née en métropole, veut connaître l’histoire familiale et interroge son père et ses deux tantes. « Pour moi qui suis née dans la grisaille, l’île constitue un monde de sensations secrètes, inaccessible la plupart du temps. Les moments que je passe là-bas sont des parenthèses sensuelles, où tout prend le relief particulier der la fugacité. »
Chacun raconte son enfance, son histoire, sa facette de la vie sur l’île. Antoine qui veut SON magasin de mode, est un personnage fantasque, fidèle à la tradition et qui, pourtant, s’émancipe du mariage. Elle a acquis, par sa perspicacité, une belle position sociale, moderne tout en étant fidèle à une certaine tradition (elle n’a pas de compte en banque). Son commerce commence à décliner lors des évènements terribles et part pour la capitale où elle ouvre une échoppe, du même genre, même fouillis qu’en Guadeloupe, qui périclite rapidement.
Lucinde, sa sœur, se marie et décide de faire de la couture à domicile. Elle s’enorgueillit d’avoir des blanches parmi sa clientèle et paraît vivre très bien de son métier, gagne plus que son mari. Antoine n’aime pas sa relation aux békés, trop complaisante pour elle. Le couple part pour la métropole où les rôles sont inversés, le couple se sépare.
Petit-frère doit sa survie au fait d’avoir devancé l’appel. « A mon tour, j’ai devancé l’appel ; c’était ça ou glisser doucement vers un effondrement intérieur. Les contours de l’île étaient les murs de ma prison ». Ce départ lui a permis de trouver son chemin « J’ai compris qu’à vingt ans, l’armée m’avait sauvée. »
Les évènements de mai 1967 où les jeunes guadeloupéens se rebellent contre les békés, contre l’injustice qui les enferme dans des emplois subalternes, s’ils en trouvent et donc dans une certaine misère se termine dans un bain de sang.
Tout est changé, alors, beaucoup prennent la décision de partir pour la capitale. « Les Antillais sont devenus aussi nombreux en métropole que dans les îles ». Ce déracinement qui même si« Nous, les Antillais, nous avons toujours su nous adapter, pas vrai ? De la case d’esclaves aux HLM, nous savons ce que signifie survivre. » ne va pas sans heurts. En région parisienne, les guadeloupéens découvrent la solitude, le racisme, la grisaille et le froid. La nièce, pourtant née en France l’a connue sous les traits du cafetier de Créteil.
Un livre où la langue fleurie de la Guadeloupe m’a enchantée. L’histoire familiale est empreinte d’humour, d’amour, de désespoir, bref, de tout ce qui fait la vie. Des portraits tout en nuance, irisés comme une goutte d’eau sous le soleil, des personnages hauts en couleur, ambivalents, tout n’est pas noir et blanc, tout n’est pas békés et noirs pour un superbe portrait de la Guadeloupe des années quarante à nos jours.
Un très beau premier roman.
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coup de coeur

Quelle jolie découverte que ce premier roman !

Une jeune femme (dont on peut facilement supposer qu’il s’agit de l’auteure elle-même) se plonge dans ses racines familiales après la naissance de ses propres enfants. Née en France d’un père guadeloupéen et d’une mère chti, elle ne sait que peu de choses de l’histoire de sa famille paternelle.

Elle décide d’interroger ses tantes et son père, leur donnant à tour de rôle la parole pendant tout un chapitre. Nous rencontrons ainsi Antoine, la soeur aînée, à la forte personnalité, un tantinet mystique et parfois loufoque. Puis Lucinde, l’autre soeur, qui ne rêve que de s’élever dans la société grâce à sa passion : la couture. Et enfin Petit Frère, le père de la narratrice, qui a toujours voulu étudier et évoluer.

Se dresse alors devant nous le portrait de la société guadeloupéenne à partir des années 50 avec ses aspects positifs mais aussi ses travers : la couleur de peau, ses nuances plus ou moins foncées, sont des éléments très importants dans les relations sociales ; les relations hommes-femmes ; la gestion économique de l’île par la France souvent menée aux détriments des locaux.

On y découvre aussi qu’en mai 1967, les jeunes guadeloupéens se sont rebellés contre cette situation qu’ils considéraient comme une injustice, ayant la plus grande difficulté à trouver un emploi et donc à vivre tout simplement. Cette « révolution », dont je n’avais jamais entendu parler, a été réprimée dans un bain de sang.

Par la suite, beaucoup de jeunes Antillais sont venus s’installer en France dans l’espoir de vivre une vie beaucoup plus sécure économiquement mais pas forcément plus heureuse humainement.

C’est avec une grande tendresse, une grande chaleur, une pointe d’humour que l’auteure partage avec nous l’histoire de sa famille. Le tout fait un excellent moment de lecture.

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Un très beau premier roman

La nièce (dans laquelle on projette forcément l’autrice) est née et a grandi à Créteil, d’un père antillais et d’une mère ch’timi. Tous les deux ans à peu près, elle est allée passer l’été dans sa famille paternelle, en Guadeloupe. Jeune maman, à la trentaine, elle décide d’interroger son père et ses deux soeurs (ses tantes à elle, donc) sur leur enfance, sur leurs racines communes. Celle qui raconte avec le plus de verve la saga des Ezechiel de Morne-Galant de 1947 à 2006, c’est Antoine, l’aînée. La vision de sa petite soeur, Lucinde, est plus succincte, plus acide aussi; moins pittoresque, et très partagée. Le petit dernier, « Petit-Frère » (le père de la nièce) est lui plus structuré, dans une langue précise et plus travaillée. Le tout se lit avec gourmandise et on s’attache durablement à cette famille qui nous offre des portraits saisissants. Loin d’une vision manichéenne des choses, le regard de ces quatre êtres sur leur condition de français d’outre-mer puis de métropolitains est nuancé et constructif. Un très beau premier roman.

« A mon tour, j’ai devancé l’appel; c’était ça ou glisser doucement vers un effondrement intérieur. Les contours de l’île étaient les murs de ma prison. (…) Bien plus tard, quand j’ai eu accès à autant de livres que je le voulais, lorsque des collègues et des professeurs m’ont aidé à mettre des mots sur ce que je ressentais, lorsque j’ai moi-même appris à trouver un chemin dans les mots tortueux des patients que je soignais, j’ai compris qu’à vingt ans, l’armée m’avait sauvé. »

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coup de coeur

Intéressé par la nouvelle rentrée littéraire ? Voici un livre qui en fait partie pour 2018 :

Aujourd’hui j’ai choisi de vous parler d’une jeune écrivaine française, d’un père guadeloupéen et d’une mère franco-belge (joli métissage) et qui publie son premier ouvrage : « Là où les chiens aboient par la queue ». le titre à lui seul est assez intrigant, prometteur et qui sait ? On va peut-être y trouver un certain langage et de l’humour ?
Gagné !
Le livre est divisé en plusieurs chapitres racontés par des personnages différents de la famille Ezechiel : Antoine, l’héroïne – Luncinde – Petit-Frère… L’héroïne, Antoine, quitte son pays à l’âge de seize ans, pour rejoindre aller chez sa tante Eleanore (man Nonore), à Pointe-à-Pitre.
Elle s’interroge sur son origine métisse et c’est ainsi qu’elle raconte son enfance, l’histoire de la famille, les traditions, l’esprit de ces Antillais « immigrés de l’intérieur ».

L’histoire, racontée par Antoine, se passe à Morne-Galant et l’auteure écrit en page 10 : « Encore aujourd’hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant : « Cé la chyen ka japé pa ké. » Je te le traduis puisque ton père ne t’a jamais parlé créole : « C’est là où les chiens aboient par la queue. ».
Comme on le voit, le langage est bien imagé, exotique car de nombreuses expressions sont issues de la langue guadeloupéenne. Mais on y trouve aussi beaucoup de poésie (avec l’évocation de Aimé Césaire et de Léopold Senghor) – de l’humour avec des personnages « hauts en couleur » – de l’amour…
Mais c’est aussi l’histoire d’un désenchantement, celui de l’exil qui n’est pas aussi rose que l’on pouvait espérer : « Nous, les Antillais, nous avons toujours su nous adapter, pas vrai ? De la case d’esclaves aux HLM, nous savons ce que signifie survivre. Mais de communauté soudée, tu n’en trouveras pas. «  (p.277)

Ce premier roman est très prometteur car il nous fait découvrir Estelle-Sarah Bulle et peu importe si on connaît ou pas la Guadeloupe, elle se charge de nous en faire le portrait et de nous relater des faits anciens méconnus certainement ailleurs dans le monde.
C’est donc un roman à découvrir, bluffant par son originalité.
Une belle rentrée littéraire pour cette écrivaine et certainement un beau succès en vue, en tout cas je l’espère.

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