Le discours
Fabrice Caro

Gallimard
sygne
octobre 2018
208 p.  16 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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coup de coeur

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Adrien n’avait vraiment pas besoin qu’on lui demande cela. Faire un discours le jour du mariage de sa sœur, alors que lui vient de se faire larguer et que de toute façon sa vie est un désastre !

Souvent la quarantaine est le temps des bilans. Chez Adrien, c’est le temps de la déprime. Rien ne va : son travail n’est pas particulièrement passionnant (d’ailleurs il en parle peu) et ses amours sont au plus bas. Cela fait presque un mois que Sonia est « en pause » et elle ne donne toujours pas de nouvelles.
« J’ai besoin d’une pause. Voilà ce qu’elle m’avait annoncé un soir, il y a exactement trente-huit jours, sans préambule, sans autre explication ni justification, débrouille-toi avec ça ».

Comme Adrien est un être résolument centré sur lui-même, il est persuadé que le SMS qu’il vient d’adresser à son ex aura une réponse. Les minutes, puis les heures passent et toujours rien. Pour couronner le tout, il doit supporter un affligeant repas de famille dans lequel il doit supporter les poncifs de sa mère, les réflexions de son père et le couple idéal formé par sa sœur et son futur beau-frère Ludo. Justement, ce dernier croit lui faire plaisir en lui demandant d’écrire un discours qu’il lira le jour de leur mariage. Tu parles ! Adrien est trop désabusé pour raconter quelque chose de valable, en plus parler devant tout le monde, ce n’est pas son fort.
« On n’attend pas de moi que je m’acquitte d’une simple formalité, un acte anodin qui s’insérerait mollement entre le trou normand et la découpe de la pièce montée dans une succession éprouvée de minuscules rituels, non, je suis le garant officiel du plus beau cadeau de la soirée, le clou du spectacle, l’apothéose ».

Et Sonia qui ne répond toujours pas…

Les souvenirs affluent. Qu’est-ce qui a bien pu coincer pour que Sonia aie besoin d’une pause interminable ?
« Au fond, ce discours est une aubaine. C’est l’occasion idéale de remettre les pendules à l’heure. Casser cette image d’introverti de service, exhiber enfin à la face du monde le trublion qui se cache derrière la carapace atone ».
Adrien est un narrateur drôle, touchant, souvent décalé et surtout incapable de se remettre en question. Il ne va pas bien donc tout va mal et il ne comprend pas que le monde continue de tourner. Le souvenirs racontés permettent d’échapper à l’unité de temps et d’action. Le discours devient un prétexte à un monologue angoissé dans lequel les anecdotes drôles ou cuisantes se bousculent et dressent un portrait touchant du narrateur.
Fabrice Caro a utilisé un style frais et limpide, servi par des chapitres assez courts. Issu de la bande dessinée, l’auteur est une voix neuve en littérature.
Dès lors, Le Discours est un roman sans prétention qui se lit plaisamment d’une traite, dans lequel forcément chaque lecteur s’y retrouvera à un moment ou à un autre.

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coup de coeur

« Tu sais, ça ferait très plaisir à ta sœur si tu faisais un petit discours le jour de la cérémonie. »
Voilà la phrase qui tombe dans l’oreille d’Adrien, la quarantaine en berne, alors qu’il s’apprête à vivre un repas de famille avec parents, soeur et beau-frère. Soudain, c’est comme si une chape de plomb lui tombait sur les épaules. Un discours… A écouter c’est déjà bien pénible mais à rédiger…et à prononcer… Et pour dire quoi ? Qu’il adore sa sœur Sophie qui lui offre à chaque occasion une encyclopédie (système solaire, univers, oiseaux, insectes, football, Moyen Âge, primates…) et qui n’a pas changé ses habitudes à l’heure d’Internet ? Qu’il trouve son beauf Ludo super-cool, lui qui part sans prévenir dans de grandes envolées lyriques sur le permafrost, le taxon Lazare ou les moaï de l’île de Pâques ?
Il faut dire que le pauvre Adrien ne va pas bien : son histoire d’amour est en train de tourner en eau de boudin et il n’a rien trouvé de mieux que d’envoyer un « Coucou Sonia, j’espère que tu vas bien, bisous! » à sa copine qui avait souhaité « faire une pause », comme on dit. Et notre pauvre Adrien de se demander quelle mouche l’a piqué d’expédier ce message débile qui s’achève sur un point d’exclamation encore plus débile. Et tandis que le repas commence, que sa mère le trouve pâlichon, que sa sœur lui demande comme à chaque fois s’il aime le poivron et s’il prend du sucre dans son café, que son beauf l’entretient sur le « tardigrade qui résiste à tout » et que son père se lance dans des digressions interminables, le gars Adrien attend… une réponse, un petit SMS, un micro-signe de vie de la part de Sonia.
Et le repas avance, et Adrien s’enfonce dans une déprime de plus en plus profonde et… et…
Et en plus, il a la perspective de devoir faire ce discours…
L’enfer sur terre entre le gratin de pommes de terre et la tarte poire-chocolat…
Bon, tout d’abord, pour ceux qui s’interrogent (et je sais qu’il y en a) : ici, c’est un roman… sans images… que du texte, des phrases, des mots ! Et croyez-moi, si l’on rit BEAUCOUP, en même temps, pauvre Adrien, comme on le comprend!, et il y a une telle humanité dans ces situations que j’ai eu pour ma part plusieurs fois les larmes aux yeux. Ce sont des moments que l’on a tous vécus un jour ou l’autre, des passages à vide où l’on a « assuré » devant les autres alors qu’au fond, on était en miettes, on avait envie de pleurer toutes les larmes de son corps en sachant très bien que le verre de jus d’orange que nous proposait notre maman chérie ne suffirait pas à étancher le raz de marée de notre tristesse.
Dans ce texte, tout est juste, percutant, bien vu, tellement vrai, si drôle, si triste et tellement tendre en même temps !
Fabrice Caro mêle à un sens de l’observation super-aigu un irrésistible humour absurde, le tout génialement ficelé dans un récit qu’on ne lâche pas… Et on en redemande ! La cerise sur le gâteau ? Un coeur gros comme ça et une vraie empathie pour ses personnages – même le beau-frère – (et pour l’humanité tout entière aussi d’ailleurs)  ! Et c’est précisément ça qui m’a touchée…
Je l’aime beaucoup ce Fabcaro, oui, vraiment beaucoup !

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