Le Ghetto intérieur
Santiago H. Amigorena

POL
fiction
août 2019
191 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

« Le Ghetto intérieur » de Santiago H. Amigorena
est le coup de coeur de la librairie Le Failler à Rennes
dans le q u o i  l i r e ? #89

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coup de coeur

« Le ghetto intérieur » de Amigo H. Amigorena 
est le coup de coeur de la L’Arbre à papillons à Phalsbourg
dans le q u o i  l i r e ? #88

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coup de coeur

Pour le Goncourt 2019
la Maison du livre à Rodez aurait choisi
« Le ghetto intérieur » de Santiago H. Amigorena
et c’est dans le 
q u o i  l i r e ? #87

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Combattre le silence

Lorsque Vicente Rosenberg quitta la Pologne pour s’exiler en Argentine, en 1928, il savait à peine qu’il était juif, en tout cas il ne s’en préoccupait pas. Il était simplement heureux de s’éloigner de sa mère, et de commencer une nouvelle vie. En très peu de temps il se fit des amis, rencontra sa future femme qui l’adulait, Rosita, travailla avec son beau-père et eut trois enfants, deux filles et un fils. La vie était belle, simple, joyeuse et les nuages noirs qui s’amoncelaient sur l’Europe restaient loin, très loin de ses préoccupations. Pour soulager sa conscience cependant, il demanda à sa mère de venir le rejoindre, puis il fut soulagé lorsque celle-ci déclina à plusieurs reprises l’invitation. Il ne se voyait pas vivre avec elle.

Les milliers de kilomètres séparant son pays d’origine et son pays d’adoption lui permirent de rester éloigné le plus longtemps possible de la réalité, mais celle-ci finit par la rattraper. Les journaux faisaient leur Une sur ce qui se passait en Europe, sa mère lui écrivait des lettres poignantes où elle lui racontait la peur, la faim, le désespoir, et finalement le ghetto. On a beau vouloir rester sourd, lorsque le bruit devient trop fort, il finit par vous parvenir. Alors ce Vicente qui était un gai luron, aimait raconter des histoires à ses enfants, boire des verres avec ses amis, s’enferma peu à peu dans son « ghetto intérieur ». Coupable de n’avoir pas insisté davantage pour faire venir sa mère, s’en voulant de ne pas partager le destin des siens, de manger à satiété alors qu’eux étaient en train de mourir de faim, il devint imperméable à l’extérieur, arrêta de parler, de s’intéresser à sa femme et ses enfants, arrêta peut-être même de les aimer, pour se punir.

Ce grand-père qu’il a peu connu, puisqu’il avait sept ans lorsqu’il mourut, Santiago Amigorena a essayé de lui redonner une vie qu’il avait pourtant désertée longtemps avant sa mort. Ce beau roman sur la manière dont on peut devenir son propre geôlier, et né pour combattre le silence qui a traversé les générations, est en course pour le prix Goncourt.

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 Les internautes l'ont lu

Il part. En 1928, il quitte la Pologne pour l’Argentine, Varsovie pour Buenos Aires, laissant sa mère, son frère et sa soeur à des milliers de kilomètres derrière lui. Il part et a le sentiment de se libérer enfin de l’emprise maternelle, il souhaite respirer un peu et se lancer dans une nouvelle vie, faire fortune peut-être, loin de la vieille Europe, loin d’une famille étouffante, loin d’une mère juive qui l’empêche presque d’être lui-même.
« Les Juifs me font chier. Ils m’ont toujours fait chier. C’est lorsque j’ai compris que ma mère allait devenir aussi juive et chiante que la sienne que j’ai décidé de partir. »
Le jeune et beau Vicente Rosenberg (double du grand-père de l’auteur) se marie, a des enfants. Il oublie le yiddish, parle espagnol, apprend à danser le tango. La vie lui sourit et Vicente Rosenberg aurait dû être un homme heureux. Mais il ne le sera pas : au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, le pire s’abat sur l’Europe. Il a pour nom nazisme et pour conséquence le meurtre de six millions de Juifs.
L’impensable.
L’innommable.
L’insensé.
La Shoah.
Si à son arrivée,Vicente Rosenberg propose à sa mère de venir le rejoindre à Buenos Aires, il ne fait pas l’effort de retraverser l’Atlantique pour aller la chercher et il faut bien l’avouer, il lit d’un œil assez distrait les premières lettres qu’il reçoit d’elle et ne lui répond que lorsqu’il en a le temps. Mais très vite, il sent que quelque chose est en train de basculer, là-bas, en Europe. Et il sent aussi que sa mère se trouve dans l’oeil du cyclone et qu’enfermée dans le ghetto de Varsovie, elle ne s’en sortira peut-être pas.
Et ça, Vicente Rosenberg ne pourra jamais le concevoir.
Il est parti et maintenant c’est trop tard. Il a abandonné les siens, sa mère, son frère, sa soeur mais aussi d’une certaine façon, les autres Juifs d’Europe. Il ne s’est pas trouvé là où il aurait dû être. Il n’a pas vécu l’enfer que les autres ont subi. Il a honte. Écrasé par une douleur extrême et un sentiment de culpabilité immense, Vicente s’enferme petit à petit dans un mutisme absolu. Que dire en effet quand tout paraît vain ou dérisoire ? De quoi parler quand plus rien n’a de sens et que les hommes sont devenus fous ? Comment vivre en sachant que sa mère souffre et vit le pire ? Comment ne pas se réfugier dans le silence quand les mots n’ont plus de sens et qu’il n’en existe aucun pour exprimer le pire ?
N’étant plus que l’ombre de lui-même, il ne lui reste plus qu’à s’isoler dans un ghetto intérieur dont il aura bien du mal à s’extraire… si c’est possible.
« Il aspirait à un silence si fort, si continu, si insistant, si acharné, que tout deviendrait lointain, invisible, inaudible – un silence si tenace que tout se perdrait dans un brouillard de neige. »
Comme vous l’aurez compris, le sujet abordé ici par Santiago H. Amigorena est extrêmement douloureux et je sens qu’il va falloir que je fasse un effort pour rester objective afin de parler de l’oeuvre elle-même sans être emportée par l’émotion (et avec une telle thématique, c’est difficile.)
Bon, disons-le, j’ai un avis plutôt positif sur ce roman (certains aspects m’ont beaucoup plu) mais j’ai tout de même quelques réserves.
Des livres sur la Shoah, nous en avons tous beaucoup lu. Or, Le Ghetto intérieur a ceci d’original qu’il fait le portrait d’un homme qui n’est pas sur le lieu même où les crimes sont commis. En effet, Vicente reçoit des bribes d’information et a bien du mal à appréhender la vérité. On comprend que les journaux ont parlé finalement (et pour différentes raisons) assez tardivement de tout ce qui se passait dans les camps de la mort. L’information circulait mal. Et puis, comment admettre l’impensable, comment considérer comme vrai ce qui dépasse l’entendement ?
« Vicente, comme le reste de l’humanité, pouvait savoir mais ne pouvait pas savoir. Il ne pouvait mettre aucune image sur ce qui se passait à douze mille kilomètres de distance de là où se déroulait son drame personnel. Il ne pouvait mettre aucune image ni l’appeler d’aucun nom.»
Cette distance géographique et donc physique va être très mal vécue par le narrateur qui a le sentiment de ne pas être à sa place. Un sentiment d’impuissance s’empare donc de lui. Il comprend qu’il est fondamentalement attaché à ceux dont il s’est éloigné : à sa famille mais aussi aux Juifs d’Europe. Lui qui avait plus ou moins rejeté son appartenance à toute forme de judéité se sent être fondamentalement juif, appartenir à une famille, une communauté qu’il avait délaissée. C’est donc en s’éloignant qu’il devient ce qu’il fuyait. J’ai trouvé passionnantes toutes les analyses tournant autour de cet écart géographique et ses conséquences sur l’évolution psychologique du personnage principal.
M’ont aussi beaucoup intéressée les réflexions sur les mots permettant de désigner l’innommable : dire « Shoah » ou « Holocauste », mettre une majuscule ou pas, parler d’ « événement » ou de « catastrophe », d’ « apocalypse » ou de « génocide », cela n’a pas le même sens, ne sous-entend pas la même chose… Les mots ont ici une importance capitale car ce sont eux qui vont exprimer les faits, dire ce que beaucoup renonceront à dire, c’est par eux que sera révélée et transmise la vérité, celle que tout le monde doit savoir.
Enfin, le questionnement sur l’identité juive est aussi passionnante d’autant que les réflexions ont lieu dans une langue assez simple qui pourrait être celle d’un jeune homme comme Vicente : il essaie en effet de comprendre qui il est, quel est le sens de cette identité unique qu’il n’a pas choisie (et que les nazis ont imposée aux gens qu’ils voulaient assassiner), pourquoi il serait plus juif que polonais, argentin, danseur de tango, joueur de football ou vendeur de meubles, il se demande si on peut avoir une identité qui nous définisse toute une vie, si ce mot a du sens pour lui et l’on assiste vraiment ici, notamment grâce au discours direct, à l’évolution de sa réflexion, un peu naïve dans sa formulation et donc très touchante :
« – Oui, oui, c’est ça ! C’est exactement ça ! On est différents. On est différents de tout, on est différents de tous. On est différents de quoi que ce soit. C’est la seule chose qui compte. On est le seul peuple sans armée, sans État. Et on a été élus, mais on n’a jamais vraiment su pourquoi on avait été élus. On a été élus seulement pour se poser la question de pourquoi on a été élus !C’est ça ! On est juifs. Je suis juif. Mais on ne sait pas ce que c’est. On ne sait absolument pas ce que c’est. Et le plus beau et le plus triste à la fois, c’est qu’on n’arrêtera jamais de se le demander, et qu’on ne le saura jamais. »
La simplicité des mots et des tournures de phrases confère une vraie force au propos. Et l’on sent soudain que l’on touche à l’essentiel, à quelque chose qui a à voir avec une forme de tragique et c’est beau à pleurer….
Mon bémol réside finalement dans le récit lui-même que j’ai trouvé parfois (et notamment à la fin) très répétitif et trop long, d’autant que souvent, ce sont les mêmes expressions, les mêmes mots qui sont employés pour exprimer le quotidien de Vicente, ses sorties en ville, les cafés, les jeux, le désespoir de sa femme et son enfermement intérieur… Un livre sur un tel sujet supporte mal les longueurs. Certains passages manquent de rythme et les redites finales, trop nombreuses, alourdissent inutilement le récit.
Il me semble aussi que l’auteur aurait pu donner encore plus de force au personnage de Vicente en exprimant peut-être de façon un peu plus progressive (plus nuancée?) sa lente plongée dans le silence. J’ai le sentiment qu’on y arrive trop vite, trop tôt dans le roman (p 52, son ami Ariel le trouve déjà « plus taiseux qu’il ne l’était depuis le début de la guerre »), ce qui oblige ensuite l’auteur à jouer sur le ressassement, la répétition tout le long des 140 pages restantes. Je pense qu’il y a ici un manque d’équilibre dans l’organisation romanesque et ce au détriment du personnage principal dont le portrait aurait, je pense, pu être plus affiné, plus fouillé.
J’ai trouvé enfin qu’il y avait comme une distance entre le personnage de Vicente et le lecteur (moi-même en l’occurrence) : est-ce lié au récit à la 3e personne – mais comment faire autrement? ou à une certaine économie de moyens dans l’écriture (une certaine froideur) ?, ou bien aux références historiques assez nombreuses (et pas franchement nécessaires à mon avis) qui empêchent, me semble-t-il, la partie romanesque de se déployer véritablement? Je ne sais pas vraiment, en tout cas, cette distance a un peu retenu chez moi l’empathie voire l’émotion (qui auraient dû être là, présentes et immenses, dès les premiers mots). J’ose l’avouer, le personnage de Vicente ne m’a pas vraiment touchée (sauf quand il parle de sa mère – quel beau livre d’ailleurs sur les relations mère/fils…)
Et pourtant, il aurait dû me bouleverser. Je trouve que quelque chose ne fonctionne pas vraiment dans le dispositif romanesque. Pourquoi ? I don’t know. En tout cas, il m’a fallu attendre la fin pour que je me sente émue. (D’ailleurs, quand je dis que je n’ai pas été touchée plus que ça par Vicente, je ne l’ai pas été non plus par sa femme et ses enfants…) Je les ai vus comme de loin…

Bon, allez, j’arrête là. Le Ghetto intérieur reste incontestablement un texte marquant et il ne faut pas vous fier à l’avis d’une vieille grincheuse au coeur de pierre !

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