Les grands cerfs
Claudie Hunzinger

Grasset
septembre 2019
192 p.  17 €
 
 
 
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coup de coeur

« Les grands cerfs » de Claudie Hunziger
est le coup de coeur de L’Arbre à Papillons à Phalsbourg
dans le q u o i  l i r e ? #84

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coup de coeur

« Les grands cerfs » de Claude Hunzinger
est le coup de coeur de la Maison de la presse de Caussade
dans le q u o i  l i r e ? #80

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coup de coeur nuit blanche

2015 : je découvre par je ne sais quel hasard (mais les hasards existent-ils vraiment?) le livre de Claudie Hunzinger : La Survivance. Coup de foudre ABSOLU. Je profite de quelques vacances pour trimbaler toute ma petite famille en Alsace et tenter de retrouver la fameuse « Survivance », une vieille métairie perchée dans la montagne. Livre ouvert dans une main et bâton de marche dans l’autre, j’ouvre la route tandis que mes quatre gamins s’égaillent joyeusement dans le massif du Brézouard, à six heures à cheval, comme le dit l’auteure, du couvent d’Issenheim, au bord de la plaine du Rhin.
J’ai pris des notes, consulte régulièrement mon bout de papier, nous perds, nous reperds et à chaque virage, je crois voir au loin la vieille maison en ruine que mes deux Robinson-libraires, personnages du roman La Survivance, ont décidé d’acheter après avoir vendu à contre-coeur leur librairie-maison de la vallée. Ils sont partis avec leur âne, leur chienne, leurs bouquins de Kafka, Walser, Bolano et Sebald, oui, ils sont partis au bout du monde, loin de la société de consommation et des Black Fridays en veux-tu en voilà. Loin. Près des cerfs, des hérissons, des chenilles dévoreuses et des buses aux serres jaune d’or. L’eau pénètre parfois dans la maison. La température peine à grimper. Ils ont froid. Mais tant pis.
Ils sont heureux. Ils lisent le « De natura rerum » de Lucrèce et c’est bien là l’essentiel.
Mes enfants finissent par oublier le but de notre grande balade. Ils ont soif et faim et froid. Des gosses, quoi. Quant à moi, je sens que je ne suis pas loin de cette vieille métairie du 18e siècle, qu’elle est là à la lisière de cette forêt, cachée derrière ces arbres que je vois au loin. Elle est là, j’en suis certaine…
Quel immense plaisir j’ai eu à retrouver « La Survivance » (appelée « Bambois » dans un précédent livre, puis « Hautes-Huttes » dans Les grands cerfs…) Il faut dire que les mots et les phrases de Claudie Hunzinger, je les goûte comme parmi les plus beaux écrits actuels : ils disent la nature, les plantes, les animaux, l’air, les arbres, la neige comme on ne sait plus les nommer.
Ils nous montrent ce que l’on ne sait plus voir. Et moi-même, ancienne citadine mutée depuis fort longtemps dans le fin fond du bocage normand et vivant maintenant à l’orée d’une immense forêt, ces mots m’apprennent à voir la beauté qui m’entoure, ce que j’ai refusé de faire pendant longtemps, perdue que j’étais d’avoir été parachutée au bout du monde… Maintenant, je SAIS que je vis au coeur de cette beauté mais il m’a fallu les mots de Claudie pour VOIR le monde où je vis et l’aimer…
Revenons à ce merveilleux livre Les grands cerfs. Il m’est arrivé, il y a quelques années de cela, tandis que je me promenais en forêt avec Onyx, mon chien, de me retrouver nez à nez avec un cerf, certainement poursuivi par des chasseurs. Il était resté immobile à quelques mètres de moi. Nous nous étions regardés, puis il avait repris son chemin. Mon pauvre chien vieillissant n’avait fort heureusement rien vu du spectacle. J’en ai gardé un souvenir puissant comme si j’avais assisté à une apparition. Depuis, j’aime retrouver dans les textes littéraires l’image du cerf. Cela me fascine. Du « Saint Julien l’Hospitalier » de Flaubert à « Tiens ferme ta couronne » de Yannick Haenel, l’animal s’est emparé de mon imaginaire.
Dans son dernier roman (oui, je sais, j’ai encore fait un petit détour) la narratrice, Pamina, qui vit dans la montagne avec son compagnon Nils, s’est liée d’amitié avec un certain Léo, photographe animalier. Celui-ci passe tout son temps, jumelles au cou, à guetter des cerfs dans une cabane d’affût.
« À l’approche, on se glisse dans les forêts, on avance, on dérange, on surprend, on fait fuir. À l’affût, on attend. »
Initiée, guidée par cet homme, et affrontant des températures peu clémentes, elle va découvrir tout un monde qui lui était jusque là étranger : celui des cerfs, des clans, des traces, des excréments qui disent tant de choses, des odeurs, de la repousse, de la perte des bois, du brame, du vent qu’il faut avoir pour soi, de leur larmier qui n’a rien à voir avec des larmes… Un monde nouveau et fascinant s’ouvre à la narratrice…
Seuls les mots de Claudie Hunzinger sont capables d’exprimer avec autant de justesse et de poésie toute la beauté d’une horde de cerfs, de leurs folles ramures aux 12 ou 18 cors, de leurs terribles rivalités. Les voir, les observer, les nommer… Comment s’appelle celui qui a l’oreille gauche coupée net ? Est-ce le Vieil Apollon ? Et l’autre et son double maître andouiller ? Est-ce Wow, Arador ou bien Pâris ?
La narratrice se fond dans la nature, devient la nature, devient le cerf.
« C’était ça le but. Le but et le délice. Le délice de ne pas me sentir assignée à résidence dans le genre humain, mais de m’en affranchir pour m’élargir, m’augmenter dans une sorte de bond vers la nuit, y affronter un air si âpre que j’en tremblais. »
« Je découvrais à quel bord j’appartenais. À celui des proies. Étrangeté amplifiée par le genre qui m’incarnait, comme si depuis toujours le féminin et l’animal allaient ensemble, passionnément, dans le même qui-vive. »
Allez, je ne résiste pas à l’envie de vous livrer la page 73, si belle, la voici : « C’était devenu une obsession. Contempler des cerfs. J’aurais aimé approcher leurs présences, connaître leurs pensées, pénétrer leurs méditations, dormir dans leurs yeux, écouter dans leurs oreilles, me glisser dans leur mufle, être leur salive verdie du suc des herbes, frémir sous leur pelage, bondir dans leurs muscles, m’enfoncer profondément dans leurs sabots, dans leur fonds d’expérience, parcourir le temps qui existe et le temps qui n’existe pas, nager dans les vapeurs qui montent des prairies ou dans celles qui montent des grottes, cinq cerfs nageant dans la brume aux parois de Lascaux, porter le poids de leur couronne, connaître une seconde, une seule, leur souveraineté, la mêler aux branches des forêts traversées, ne plus savoir si je suis cerf ou forêt en train de nager, de bondir. D’exister. »
Silence…
Mais ce dont nous parle l’auteure, c’est aussi des oiseaux qui disparaissent. Et des insectes. Elle se rend compte qu’elle est témoin de la fin d’une époque. Un témoin impuissant. Et terrifié.
« En dix ans. Ça s’est passé en dix ans. Sous nos yeux. Et j’en ai pris conscience seulement cet été-là. En dix ans, quelque chose autour de nous, une invention, une variété de formes, une extravagance, une jubilation d’être qui s’accompagnait d’infinis coloris, de moirures, d’étincelles, de brumes, tout ça avait disparu pour laisser place à un monde simplifié, appauvri, uniformisé, accessible aux foules et aux masses où les goûts se répandaient comme des virus. Et ce n’était pas un phénomène cloisonné mais un saccage général. »
Et puis, il y a les chasseurs et les gardes forestiers de l’ONF… Et ce Léo, l’initiateur, le guide. Quel est son camp ? Le sait-il lui-même ?
Un texte sublime qui dit toute la beauté du monde.
Celle que l’on peut admirer.
Pour combien de temps encore ?

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