Oscar de Profundis
Catherine Mavrikakis

Sabine Wespieser
litterature
août 2016
310 p.  21 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Montréal avant la fin du monde

L’auteure québécoise Catherine Mavrikakis a l’art des atmosphères, qu’elle déploie ici dans une dystopie, un récit qui met en scène un futur sombre. Ce n’est pas de la science-fiction, mais un roman d’anticipation truffé de références littéraires, cinématographiques, une défense et une illustration de la culture et de la francophonie dans une fable moderne.

Imaginez les conséquences du réchauffement climatique, de la mondialisation, de la passivité des populations. Dans une vision prophétique pessimiste, cela engendre un gouvernement mondial à la solde de trois ou quatre grandes firmes, des peuples sous le contrôle des armées (sous le couvert de la protection des braves citoyens) et une même culture affadie véhiculée partout dans un « anglais bâtard », comme dans ce Montréal de la fin des temps.

On s’entretue pour du pain

Oscar de Profundis, rock star planétaire, effectue une tournée internationale qui passe par la métropole québécoise, où il est né mais n’a plus remis les pieds depuis quarante ans. On est en novembre, et la ville est plus sombre que jamais. Des hordes de parias miséreux ont investi le centre, affamés, mourant de froid et de maladie, cependant que les nantis sont allés habiter les banlieues. Dans la rue, des bandes rivales s’entretuent pour un morceau de pain ou une couverture. Le gang le plus puissant est dirigé par Cate Bérubé, qui rêve d’un soulèvement des pauvres contre une société qui veut leur disparition. L’occasion se présente avec une épidémie de peste noire dont les premières victimes sont les gueux. Le confinement est décrété, et De Profundis, la célébrité de passage, n’y échappe pas. Pendant que dehors, les gens meurent par centaines, pendant que Cate et ses acolytes fomentent leur révolte, Oscar se croit à l’abri.

Un petit air de Fahrenheit 451

Le chanteur androgyne, à l’image provocatrice et dépendant des drogues, est en réalité un fin lettré, collectionneur des vestiges d’une culture morte : ses propriétés américaines sont des temples dédiés aux livres (le papier est désormais interdit), au cinéma, à la musique, et même aux sépultures célèbres. Ses modèles ont pour nom Baudelaire, Wilde, Parsifal ou Des Esseintes, et ses chansons sont des hymnes au décadentisme français. Dans ce monde voué au chaos, la littérature devient en effet une condition essentielle de survie.

Le lecteur se projette aisément dans un Montréal qui court à sa perte, envoûté par le style somptueux de Catherine Mavrikakis. On pense à « Fahrenheit 451 » et aussi au « Jugement dernier » du peintre Jérôme Bosch. Eclipsant par moments une intrigue un peu convenue mais à la fin assez belle et mélancolique, sa description dantesque de la métropole québécoise, à la fois hypnotique, réaliste et effrayante, est une de ses plus grandes réussites. A lire !

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