Outre-Mère
Dominique Costermans

Editions Luce Wilquin
smeraldine
février 2017
176 p.
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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très bon premier roman sur les secrets de famille

Lorsque l’on faisait sa communion solennelle, Il fallait choisir des images pieuses parmi tout un lot présenté par nos parents. Lucie est convoquée dans le bureau de son père pour faire cela. Le texte est déjà choisi. Il est inscrit au dos d’une image « Hélène Morgenstern, en souvenir de la première visite de Jésus dans mon cœur, le 30 mai 1946 ». Il n’y aura que le nom à changer.
Alors, Lucie demande :
– C’est qui, Hélène Morgenstern ?
La question a fusé, mais la réponse de Maman aussi, d’un petit ton sec que Lucie connaît bien.
« C’était une amie de classe », dit-elle, indiquant que la conversation s’arrête là.
Pourquoi porte t’elle le même prénom que sa mère, quelles étaient leurs relations pour qu’elle ait gardé l’image de communion et veuille le même texte pour ses images de communion à elle ? Que de questions dans la tête de la petite fille. Oui, Lucie voudrait en savoir plus sur cette amie de sa mère qu’elle n’a jamais rencontrée, dont sa mère n’a jamais parlé. « D’ailleurs, elle ne parle jamais d’avant »
« Lucie sait que dans cette famille, il y a des questions à ne pas poser et des sujets à ne pas aborder. Mais c’est la première fois qu’elle en prend conscience. »
Sa famille se résume à ses parents, son frère et elle.

Lucie voudrait bien connaître ce qui est arrivé à ses grands-parents, mais toujours la même réponse de sa mère : « pas question ! »
Adulte, pour arriver à ses fin, savoir ce qui se cache derrière ce silence obstiné, Lucie va devoir ruser, passer outre-mère, outre l’obstacle de sa mère et essayer de vider l’outre qui gonfle et étouffe sa mère
« Ma mère use avec nous de ce procédé qui a muselé toute une génération après la guerre, celle des rescapés, celle des revenus de l’enfer, celle des enfants cachés, celle des survivants. De tous ceux qui tentaient de raconter leur épouvantable histoire et qu’on a fait taire d’un « Tu n’as pas à te plaindre; au moins, toi, tu es vivant ». Ils avaient survécu, leur souffrance était inaudible: on les priva de parole. Ou ils se résignèrent d’eux-mêmes au silence. »

Est-ce la douleur de la disparition ? Ses grands-parents sont-ils morts dans les camps ? Petit-à-petit, j’apprends que non. Pas de résistants, pas de héros, mais un grand-père, Charles Morgenstern, juif, qui collabora activement avec les autorités allemandes en dénonçant des réfractaires au travail obligatoire, voire des juifs. Il s’est enfui en Allemagne.
« Vous avez obligé sa mère (la grand-mère de Lucie) à partir pour l’Allemagne alors que l’enfant avait juste quatre mois. Il n’était même pas sevré. Mais bien sûr, de cela vous ne vous êtes pas vanté. »
La narratrice se découvre toute une famille car son grand-père a eu une vie amoureuse compliquée avec maîtresses et enfants de plusieurs lits.

Lucie ne cache rien de ses recherches, ne met pas sous le boisseau la noirceur de son grand-père qui tombe du mauvais côté parce que « l’armée belge n’a pas voulu de lui ».
« La frontière est parfois mince entre ce qui fait qu’un homme devient un héros ou un traître. Combien se sont trouvés du côté des bons ou des méchants juste parce qu’ils avaient fait un choix d’opportunité qui, en fin de compte, leur a ouvert un destin ? »

Lucie a remué beaucoup de documents, casser la gangue, fait quelques dégâts. A la veille d’écrire un livre sur ses recherches, elle se demande qu’elle sera la réaction de ses amis juifs lorsqu’ils découvriront le document.
« Je l’écris pour Hélène. Je l’écris contre son gré.
J’écris aussi cette histoire pour mes enfants. Je l’écris pour mettre à plat, comprendre, reconstituer, mettre de l’ordre. Pour transmettre. »
« Dans les caves de cette histoire dont personne ne m’a donné les clés, j’ai trouvé des cadavres et des monstres ; quelques trésors, aussi. J’ai trié, rangé, empaqueté, nettoyé les toiles d’araignée et chassé la poussière. »
Seront-elles pus heureuses, plus apaisée après ? Rien n’est moins sûr pour sa mère. Pas facile d’officialiser être la fille d’un salaud. J’avais rencontré ce thème avec « Trompe-la-mort – Les carnets de Pierre Paoli, agent français de la Gestapo » de Jacques Gimard ».
Une écriture efficace, sans fioriture, quelques fois poignante sans être larmoyante, juste, dense. Un livre fort, un très bon premier roman sur les secrets de famille.
Livre lu dans le cadre des 68 premières fois.
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nuit blanche

C’est un premier roman pour Dominique Costermans, néo-louvaniste nouvelliste de talent.

Nous sommes en mai 1969, Lucie a sept ans, elle va faire sa première communion. Elle est appelée dans le bureau de son père pour choisir ses souvenirs de communion. Sa maman lui montre le texte choisi en sortant d’un missel un souvenir d’une certaine Hélène MORGENSTERN.

Mais qui est donc cette Hélène qui porte le même prénom que sa maman ?
Une amie d’école lui répond-elle. Une amie d’école dont elle conserve précieusement cette relique, c’est étrange. Lucie se rend compte qu’elle aborde un sujet délicat, un sujet tabou.

Mais la boîte de Pandorre est ouverte et Lucie va petit à petit mener son enquête, distillant prudemment des questions, par-ci, par-là. Elle trouvera des documents dans le bureau de son père et sur quelques décennies mènera ses recherches pour savoir qui elle est ?, d’où elle vient ? et ce outre sa maman qui restera fermée comme une huître sur ce sujet jusqu’au jour où la digue cèdera et libèrera enfin sa maman de son lourd passé.

Cette histoire est une fiction qui se base sur des faits réels. Nous apprendrons très vite que Charles Morgenstern, le père d’Hélène est juif, bruxellois. Il s’est enrôlé dans l’armée allemande et est devenu un indic de la gestapo.

La spécificité de ce premier roman est l’architecture particulière de celui-ci, de nombreux souvenirs nous sont livrés peu à peu sans chronologie, de nombreux personnages apparaissent et rendent de prime abord la lecture plus difficile. Mais rassurez-vous un arbre généalogique et une chronologie des faits nous aident à suivre ce passionnant puzzle qui peu à peu se remplit. Une chose est certaine, c’est qu’une fois commencé, il m’a été impossible de poser le livre avant de l’avoir terminé.

Une belle découverte que je vous recommande vivement.

Ma note : 9/10

Les jolies phrases

Oublie, N’oublie jamais. Oublie d’être juif c’est mortel. N’oublie jamais, sinon ils sont morts pour rien.

Je sais que les secrets de famille se nourrissent dans l’ombre de nos inconscients, restreignant la part de liberté de ceux qui les subissent.

Ce n’est qu’en prenant conscience de la part de mal qui nous habite que nous pourrons pardonner à autrui celle qu’il a choisie d’exprimer.

Mais à l’instar des trous noirs, toute consolation est immédiatement absorbée par sa force de gravité, ce qui alimente le système en énergie. Tout l’art, pour moi, consiste à me tenir au bord de la zone d’attraction sans y sombrer.

Dans les caves de cette histoire dont personne ne m’a donné les clés, j’ai trouvé des cadavres et des monstres ; quelques trésors, aussi. J’ai trié, rangé, empaqueté, nettoyé les toiles d’araignée et chassé la poussière. Ca m’a pris des années. Et maintenant, je suis assise sur mes caisses et je ne sais par où commencer.

La frontière est parfois mince entre ce qui fait qu’un homme devient un héros ou un traître. Combien se sont retrouvés du côté des bons ou des méchants juste parce qu’ils avaient l’opportunité qui, en fin de compte, leur a ouvert le destin.

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