Route 62

Ivy Pochoda

C’est le petit matin à Los Angeles. Le petit matin et ses immenses embouteillages. Un homme court au bord de la route, slalome entre les véhicules immobilisés, « il est presque beau », il est nu. Entièrement nu. De quoi faire le buzz sur les réseaux sociaux. Certains l’insultent, d’autres le prennent en photo, en vidéo, se marrent ou l’encouragent. Tony décide de le suivre, abandonne son véhicule et se lance à sa poursuite. Il sera arrêté par la police. Le coureur, lui, s’est évaporé. Qui est-il? Pourquoi court-il ainsi? Que fuit-il? Pourquoi Tony le suit? Qui est Tony? Et Los Angeles, au fait, de quoi est elle le nom? De quelle ville? La ville « du passé et des fantasmes », où celle qui n’est plus « qu’une enfilade de voitures le long des façades muettes des tours de verre »?
Los Angeles, et ses anges qui ont réussi, ou qui croient à leur réussite, et ceux qui se battent, luttent, transgressent la loi, survivent. Ceux qui se réfugient derrière leur maison, leurs voitures, ceux qui s’échappent dans d’improbable communauté pour tenter de retrouver une famille ou un sens à leur existence. Il y a cette mère, condamnée, qui préfère vendre ses médicaments plutôt que de les prendre, qui s’achète un peu de temps additionnel sous une tente crasseuse dans un campement de fortune, il y a son fils, sorti de prison qui essaiera de la sauver. Une paire de hors la loi qui jouent aux échecs, un gourou petit bras qui sévit dans un ranch Mansonien en tuant des poulets à la chaîne, et il y a Tony, qui rêve de liberté, insatisfait de sa réussite, runner accompli.
Los Angeles surtout, partout, comme parfaite image d’une Amérique à la merci de tremblements violents. Une ville sur failles, miroir à toutes les alouettes, où tout est permis sauf l’extrême nudité, où se mettre à nu expose à la brûlure, où l’échec, les échecs, envoient valser les pions, sans pitié.
Un homme s’en échappe, à poil, grain de sable qui expose bien des destins, dans ce roman totalement maîtrisé, jamais à bout de souffle, précis et implacable, effeuillage intégral d’une ville de déguisements.