critique de "Scherbius (et moi)", dernier livre de Antoine Bello - onlalu
   
 
 
 
 

Scherbius (et moi)
Antoine Bello

Gallimard
blanche
mai 2018
448 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
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coup de coeur

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coup de coeur

Imaginez : vous êtes un jeune psychiatre et vous vous installez dans ce cabinet dont vous rêviez depuis longtemps, situé sur le prestigieux boulevard Saint-Germain. Ici vous placez une bibliothèque bourrée de livres qui saura certainement rassurer votre clientèle, là un beau bureau avec un plateau en verre où vous poserez votre bloc tout neuf d’ordonnances. Vous vous reculez un peu, admirez l’ensemble, fier d’imaginer l’avenir prometteur qui se dessine devant vous lorsque, soudain, le téléphone sonne.
Premier appel…
Pour un rendez-vous?
Non, pas vraiment… C’est un éminent collègue, Francis Monnet, directeur du service de psychiatrie de l’hôpital Cochin… Un ponte, quoi !… Comme tous les étudiants en psychiatrie, vous connaissez par coeur son Manuel de la schizophrénie paranoïde.
Pourquoi appelle-t-il ? Votre curiosité s’en trouve pour le moins aiguisée !
Il vous explique que les services du Premier Ministre lui ont confié le soin de s’occuper d’un « imposteur » (les guillemets sont importants), un certain Scherbius, est-ce que vous accepteriez de vous occuper de lui? Vous venez juste de vous installer et l’on ne peut pas dire que vous crouliez sous les rendez-vous, alors, vous acceptez. Votre collègue viendra chez vous demain pour vous expliquer le cas. Vous acceptez…
Vous acceptez, certes, mais avez-vous pris conscience de ce qui venait de se passer ? Dans quelle galère vous vous étiez embarqué ? Non ? Eh bien, sachez-le quand même, c’est fort dommage pour vous… Vous êtes maintenant embarqué… POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE… C’est le moins qu’on puisse dire !!!
Bon, que je vous dise tout : je ne connais Antoine Bello que depuis peu mais je suis FAN. 2016 : Ada, j’adore ; 2017 : L’homme qui s’envola, même chose ; 2018 Scherbius (et moi), et toujours le même enthousiasme. J’ajouterais même qu’il me semble que le 2018 est un très très bon cru. Pourquoi ? Parce que ce texte est bourré d’humour (ah, les scènes improbables, les notes en bas de page etc, etc !) Franchement, je ne me souviens pas de m’être autant amusée en lisant un texte littéraire. Quelle invention, mais quelle invention !
Et je ne vous parle même pas de la construction… Je vous laisse la surprise !
On se balade entre la franche parodie, un mélange de vrai… (c’est hyper-documenté : vous saurez tout sur le DSM, le TPM et la psychanalyse n’aura plus aucun secret pour vous…), et de faux (à vous de démêler l’un de l’autre – après tout, Scherbius n’est-il pas un imposteur ?) Franchement, certaines situations sont hilarantes et j’imagine aisément avec quel plaisir Bello s’est amusé à raconter les histoires les plus folles, les plus déjantées… On se régale, on rit, on sent que Bello nous manipule à travers ses personnages et on en redemande.
Car au fond : QUI EST SCHERBIUS ? A cette question, s’en ajoutent bien d’autres : d’où vient-il, que veut-il, que cherche-t-il, quelles sont ses motivations, qui parle lorsqu’il prend la parole – lui ou un autre ? Porte-t-il toujours un masque ? Qui est cet homme ?
Un mystère… Une énigme…
Il faudra tout le talent de notre jeune psychiatre pour tenter de cerner ce personnage à faces multiples…
Mais Scherbius est-il un personnage classable, étiquetable, son cas est-il diagnosticable ? Est-il un escroc ou un malade ? Doit-on le mettre en prison ou tenter de le soigner (ou les deux à la fois?) Un manipulateur ou un manipulé ? Et s’il n’était pas celui qu’on croyait, à moins que…
Mais chut…
J’ajoute juste une chose : vous trouverez, au coeur de l’oeuvre, comme souvent chez Bello, une réflexion sur les pouvoirs de la littérature, de la fiction, une interrogation sur l’acte même d’écrire…
Un roman brillant, complètement JUBILATOIRE et, évidemment, à lire ABSOLUMENT !!!
(Volontairement, je vous en dis peu sur l’intrigue… croyez-moi, j’ai mes raisons!)

Retrouvez Lucia Lilas sur son blog LIRE AU LIT

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nuit blanche

« La fiction est un virus qui contamine tout ce qu’il touche. »

« Pour ne jamais faillir, Scherbius a un truc : il s’imagine qu’il est Jean-Paul Belmondo et qu’une demi-douzaine de caméras suivent ses moindres faits et gestes. »

Tout jeune déjà il a bluffé son éditeur en gagnant sous deux identités différentes un concours de nouvelles. Pour Antoine Bello, la vérité n’existe pas. Les faits existent, la réalité existe, mais la vérité est un concept.
De fait, rien n’est vrai dans son dernier roman, et pourtant tout existe.
Ça commence à la fin des années soixante-dix par un très jeune psychiatre dont le premier passant (« le premier venu », littéralement) est un imposteur magnifique. Pendant vingt-cinq ans, leurs destins vont être intimement liés et nous sont racontés par le biais de six éditions du même livre, un best-seller absolu, ajoutant à chaque nouvelle édition un complément. Quelle est la pathologie exacte de ce Scherbius impossible à cerner et pourquoi son psychiatre se laisse-t-il si facilement berner encore et encore ?
En tant que lecteur on s’attend tellement à l’entourloupe que l’on scrute chaque détail avec circonspection et on a de la matière : notre psy est gratiné, tout de même (et férocement amusant avec ses emportements anti-américains, par exemple).
De l’humour, il y en partout et ça participe à l’effet dévoration : il est impossible de faire quoi que ce soit d’autre une fois qu’on a commencé ce roman. On a envie d’en poursuivre la lecture de préférence à tout autre activité (y compris le sommeil) et c’est tellement rare.
Apologie de la fiction par excellence, cette histoire de dingue(s) (littéralement, encore une fois) nous balade exactement comme elle en a envie et on en redemande.

« Il maraude pour ne pas écorner son pécule », « Il me regarde avec commisération », « une hypothèse audacieuse s’échafaude en moi », « Il compense une certaine étroitesse lexicale par un usage désinhibé de l’argot », « Je vous dois des excuses, les plus humbles, les plus plates qui se puissent imaginer. », « Nul doute que mon incurie les eût copieusement divertis. » ==> Les premières années débordent d’un style très travaillé. Ça s’estompe au fil du temps qui passe.

« Eh physique, l’examinateur m’a demandé de calculer la durée du vol d’un boulet de canon ; j’ai trouvé huit ans et demi; il m’a dit : « Non, ça c’est le temps qu’il vous faudra réviser pour avoir votre bac. » »

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