Tenir jusqu'à l'aube
Carole Fives

Gallimard
l'arbalete
août 2018
192 p.  17 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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« Tenir jusqu’à l’aube » de Carole Fives est un roman moderne, prenant, jamais sombre. Il y a dans les lignes de l’auteure une lumière au fond du tunnel. Celle qui relève l’amour sur le piédestal du courage et de la ténacité. L’incipit apaise d’emblée le lecteur qui commence son intrusion dans ce huis-clos entre cette jeune femme célibataire et son fils de deux ans. « Avec quelle confiance l’enfant a avalé ses pâtes, ses légumes. » Le lecteur est collé dos au mur dans cette maison où le destin de deux vies devient cette contemporanéité mise à rude épreuve. Comment cette jeune mère célibataire sans revenus stables, sans moyen de garde va-t-elle se sortir de cette impasse ? « Tenir jusqu’à l’aube » est un hymne au souffle de survie. »C’était paraît –il des chèvres indépendantes voulant à tout prix le grand air et la liberté. » Chaque soir ou presque, l’enfant endormi, cette mère tire sur la corde pour dénouer l’angoisse de la solitude. Eprouver sa résistance face aux aléas irréversibles de son contre-jour, où les rideaux tirés se confondent avec les fissures déstabilisantes de sa condition de vie. Combattante, digne cette mère emblématique d’un destin sans croisement dénoue la fureur des diktats sociétaux en bravant les dangers qui feraient d’elle, éloignée du nid, une mère indigne. La grâce d’écriture puissante, souple est une respiration donnée à ce temps de ressources où cette mère si aimante récolte la vie, miettes après miettes pour offrir à l’enfant le miroir d’une normalité plausible. Ce récit se passe dans l’intériorité des êtres écorchés par la vie, marginalisés par les empreintes sociétales déformantes. La subtilité est fervente dans ce roman relevé et tenace. Tout est suggéré et le troisième degré de lecture souligne la formidable et délicate grâce d’un amour hors pair entre une mère abandonnée par le père de l’enfant et son fils trop jeune pour répondre au vide affectif de sa mère. Plus que cela encore cette histoire est une satyre. Le lecteur est secoué. Il a tenu la corde tout au long de ce récit fiévreux et admirable. Fier d’avoir lu les batailles et les victoires de cette mère modèle. « Tenir jusqu’à l’aube » de Carole Fives publié par Les Editions Gallimard l’Arbalète est un roman majeur, poignant, beau et rare qui encense la beauté vraie d’une femme résistante.

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L’enfant n’a pas de nom ou bien il porte celui de tous les enfants. La mère non plus n’a pas de nom parce qu’elle ne sait plus qui elle est. Elle n’est plus que la mère, celle qui se lève la nuit lorsqu’il pleure, celle qui berce, console, rassure, raconte, lave, range, nettoie, accompagne, revient, repart, écoute, surveille, nourrit, habille, promène, apprend, montre et recommence chaque jour. La même chose. Toutes les mères sont semblables. Sauf que celle-ci fait tout toute seule, parce que le père est parti. J’allais dire : est-ce que ça change grand-chose ? Non, j’exagère, les pères ont changé, paraît-il. Certains oui. Beaucoup non. Il est facile de le constater. Alors, la mère se met entre parenthèses, elle oublie qu’elle est une femme, qu’elle aime se promener, écouter de la musique, aller au cinéma, rencontrer des gens. Elle travaille (pour gagner de l’argent) pendant que l’enfant dort, ou bien la nuit… S’épuisant doucement… Quand elle consulte des forums parce qu’elle n’en peut plus, on lui rappelle gentiment qu’elle est mère et que l’enfant passe avant. La société lui fait la leçon, la morale. Elle est coupable d’être seule avec un enfant : elle n’a pas su retenir son mari et puis, dans le fond, elle l’a voulu, cet enfant, elle l’a eu, elle doit maintenant se débrouiller avec !
Parfois, le soir, elle accomplit une chose interdite, une chose folle, secrète, honteuse : quand l’enfant est couché, profondément endormi, elle sort, dans la rue, cinq minutes d’abord, puis dix, puis encore un peu plus pour échapper à l’espace clos et étouffant de l’appartement. Respirer. Souffler. Juste un peu.
L’envie d’aller plus loin l’appelle, la tente chaque jour davantage. Un temps à soi, un espace à soi… Juste un microgramme de liberté. Comme la petite chèvre de Monsieur Seguin, l’herbe verte des hauts pâturages lui fait envie.
Mais il y a le loup…
Tenir jusqu’à l’aube évoque de façon très juste la difficulté d’être mère, le don de soi que suppose le fait d’avoir un enfant, notamment quand on est seul ou sans famille qui puisse aider, prendre le relais.
Élever un enfant est un bonheur, certes, mais qui peut très vite tourner au cauchemar, devenir un enfer si une petite pierre vient freiner le mécanisme, ralentir l’engrenage, voire le gripper complètement ! Parfois, il ne faut pas grand-chose pour que ça coince. Quelle femme n’a jamais ressenti cela ?
La description détaillée et très réaliste du quotidien de cette mère donne à voir de façon saisissante la façon dont elle s’enfonce lentement. Et nous, lecteurs, nous avançons en apnée dans ce récit tellement cette mère, de plus en plus fragilisée, semble marcher sur un fil sans filet… Combien de temps va-t-elle tenir ?
Le roman montre très justement que la société juge, condamne lorsque la femme a besoin de soutien ou aspire à autre chose qu’être mère, tandis que l’homme peut s’octroyer tout le temps qu’il veut pour son travail ou ses activités sportives. Les choses évoluent finalement bien doucement.
L’auteur pose un regard de sociologue sur une société qui a encore bien du chemin à accomplir à la fois dans les mentalités et dans la création de structures concrètes telles que des crèches (aux horaires souples) – quand je pense qu’à notre époque où les femmes travaillent, il faut pleurer pour avoir une place en crèche! Quelle misère !
Un roman féministe, percutant et très actuel qui met le doigt sur un vrai problème de société !
À méditer !

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