TRANSPORT
Yves Flank

l antilope
août 2017
136 p.  15 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Train d’enfer

Dans ce court roman, Yves Flank, qui n’est ni un survivant ni un témoin de la Shoah, donne la parole à un homme et une femme enfermés dans un wagon à destination de l’horreur, parvenant, par la grâce de l’écriture, à léguer la beauté et l’espoir de ceux qui étaient vivants.

Dès l’incipit, on est plongé dans l’enfer de ce wagon de la mort. Dans le jargon ferroviaire, on parle de wagon pour les marchandises et les animaux. Ici sont entassés des hommes, des femmes, un enfant. Cela fait des heures qu’ils roulent depuis Drancy vers une destination inconnue. Personne, sauf le lecteur, ne sait quand prendra fin ce voyage au bout de la nuit. Un des infortunés raconte ce qu’ils endurent : le manque d’air, l’odeur pestilentielle, les cadavres qu’on entasse dans un coin, les captifs qui deviennent fous, hurlent et cognent contre les parois, peine perdue. Ça parle français, yiddish, espagnol. Les mots allemands viennent de l’extérieur, ce sont des injures. Une jeune femme rousse aux yeux verts et un enfant se détachent plus particulièrement : l’enfant parce qu’il est seul et qu’il faut le protéger ; la femme, parce qu’elle a l’énergie du désespoir, qu’elle ne veut pas renoncer, parce que jusqu’au bout elle se met en colère contre ceux qui ne se lèvent plus, qui ne parlent plus.

Nul besoin de raconter la fin, on ne la connaît que trop. Alors l’auteur fait marche arrière. La femme aux yeux verts prend la parole dans un cantique à l’aimé : « Sors-moi de cet enfer, aide-moi, souviens-toi, mon amour ». Avant d’être la femme rousse dans le wagon, elle était une amante, et elle raconte un autre transport, amoureux celui-là ; elle dit l’éros, le bonheur insolent à la face du monde, l’énergie au service de la jouissance et de la liberté des corps. C’est ensuite au tour de l’homme de raconter sa vie d’instituteur. Il a refusé de porter l’étoile infâmante, puis a été victime d’une dénonciation. Il réserve ses dernières pensées à la mer, au désert, à Rimbaud, et se reproche de n’avoir pas vécu plus intensément, pas su « emprisonner le présent ». A l’horreur sans nom, ce roman juste et bouleversant oppose les rêves et la vie de deux anonymes, passagers inconnus et imaginaires mais ressuscités d’entre les morts.

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