Un océan, deux mers, trois continents
Wilfried N'Sonde

Actes Sud Editions
romans, nouvell
janvier 2018
272 p.  20 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
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coup de coeur

coup e coeur

Peut-être avez-vous déjà été dans la Basilique Sainte Majeure à Rome. Une petite statue de marbre noire nommée Nigrita vous observe. Une statue sculptée en 1608 sous les ordres du Pape Paul V.

Cette statuette nous raconte sa vie par la jolie plume de Wilfried N’Sondé.

C’est en 1583 que Nsaku Ne Vunda voit le jour sur les rives du peuple Kongo. Il naîtra orphelin. Sa famille adoptive le confiera à des missionnaires car il est vif d’esprit. Il étudiera, deviendra prêtre sous son nom de baptême Dom Antonio Manuel. Un jeune prêtre apprécié dans son village.

Le 24 décembre 1604, il sera convoqué chez le roi Alvaro II, le roi du Bakongo. Celui-ci lui confiera la mission d’ambassadeur auprès du Vatican . Objectif officiel, représenter au même titre que les européens, les Bakongos auprès du pape Clément VIII.

Sa mission secrète sera, lui confie le roi, de dénoncer l’esclavagisme, de plaider auprès du souverain pontife pour l’abolition de celui-ci. Si Nsaku Ne Vunda a été choisi c’est parce qu’il est a des lieues des personnes corrompues qui l’entourent, il est reconnu pour son honnêteté.

Notre jeune prêtre, candide , embarque sur le navire français « Le vent paraclet ». Il doit faire face à l’équipage qui ne comprend pas les égards et le respect donné à un « noir ». Le voyage sera long car il faut faire un détour par le Nouveau Monde pour y livrer la cargaison. La cargaison parlons-en, un réel choc pour Nsaku Ne Vunda car elle se compose de ce qu’il va dénoncer; des esclaves !

Des esclaves traités de manière inhumaine, entravé par des fers et des chaînes. Des femmes dont la nudité leur fait honte, violées, maltraitées. Ils sont tous enfermés dans la cale, entassés les uns sur les autres dans des conditions innommables.

Il va devoir endurer tout cela grâce à sa foi, se convaincre que c’est pour en sauver des milliers d’autres qu’il supporte cela en silence. La compagnie d’un mousse français l’aidera en lui apportant de l’humanité et de l’amour. Un mousse qui a quitté un autre esclavage: le servage…

Ils se dirigeront vers le Brésil, bravant les tempêtes dans ce long voyage, subissant les attaques de pirates pour arriver après avoir traversé un océan, deux mers et trois continents au Portugal, continuant sans relâche son périple pour Rome. Il devra encore affronter l’inquisition espagnole avant d’arriver à bon part à Rome en 1608.

Ce récit est à la fois un roman d’aventure, de pirates mais aussi une initiation, une formation. Ce Candide possédant comme seule arme sa foi est un personnage fort et attachant.

Un roman fort dénonçant l’esclavage, le servage, l’inquisition espagnole ou comment l’homme peut en asservir d’autre et de quel droit. Un roman qui nous parle de la nature humaine qui forme un tout, une partie de l’homme qui est capable du pire et une autre comme le personnage de Martin qui va apporter de l’amour et de l’humanité. Wilfried N’Sondé ne nous parle-t-il pas des deux facettes de l’être humain qui se complète… compassion , amour et horreur ! En effet l’Homme est possible du meilleur comme du pire.

L’écriture est percutante, poétique. La plume est flamboyante, colorée, ciselée avec des envolées lyriques qui nous font apparaître des images très réalistes.

Une très belle histoire qui interpelle sur la nature humaine.

A lire.

C’est un coup de ♥

Les jolies phrases

En vérité, sans chercher à obtenir une quelconque récompense, je me contenterais de consoler, d’être à l’écoute d’une population déboussolée, terrorisée.

Atteindre l’autre côté de la grande eau, en revenir fidèle à mes croyances, à l’écoute du onde et des autres, voilà ce qui couronnerait mon entreprise de succès et m’offrirait l’éternité.

Le Saint Homme affranchirait alors sans attendre tous les captifs, où qu’ils soient, puisque le christianisme considérait les hommes égaux devant Dieu.

un serviteur du Dieu des chrétiens venu de l’arrière-pays Kongo, ambassadeur du roi, invité par le pape … l’idée leur paraissait presque ridicule, une vilaine farce à pleurer de rire. Seule l’autorité absolue du capitaine garantissait ma présence dans la partie surélevée du bateau.

Être dans l’incapacité d’atténuer leurs souffrances me consumait, cette impuissance torturante et coupable altérait fortement les fondements de ma foi. Qui avait pu inventer la haine et le mépris justifiant les atrocités qui se commettaient sur le vaisseau.

Maîtres, esclaves, ecclésiastique, sentinelles, marchandises, nous naviguions, liés les uns aux autres selon une échelle de subordination, chacun cherchant à écraser les plus faibles que lui.

Des sujets à torturer, des outils de travail et de temps en temps des objets d’assouvissement des pulsions sexuelles ou sadiques.

La tournure des événements leur avait ôté toute espérance, alors elles avaient ouvert l’abîme et s’y étaient engouffrées.. En l’instant je trouvai injustes les lois de mon Église accablant ceux qui dominent la mort . En vérité, en les excluant, nous les faisions mourir une seconde fois.

La laideur du monde m’avait fait comprendre l’importance de ma tâche, tant pis si mes chances de réussite s’amoindrissaient de jour en jour.

Il m’apparut qu’exister sans elle ne serait qu’un balbutiement de vivre qui ferait de moi un être inachevé, errant en quête sans fin.

J’avais traversé deux fois l’Atlantique, voyagé entre trois continents pour retrouver la même image que celle des esclaves bakongos dans le flou de la brume.

Où se cachait Dieu dans ce néant, et que faisaient les ancêtres?

La laideur du monde et des hommes me semblait si grande qu’elle anéantissait ma capacité d’espérer.

Enfermé à mon tour, je vivais ce qu’avaient enduré les esclaves durant la traversée de l’Atlantique.

Je devins l’incarnation de ceux qui avaient souffert, une sorte de flamme commençait à m’illuminer.

Mon périple m’avait enseigné le mouvement vers l’avant, plus enrichissant que le repli dans la nostalgie du passé.

Il m’avait fallu le malheur pour découvrir les trésors cachés dans mon âme, ma captivité révéla une ressource profonde jusque-là ignorée : l’énergie de la révolte.

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LA VICTOIRE DU MAL

Comment faire face au mal absolu ? Sans le nommer ainsi de prime abord, Wilfried aux mesquins venus de l’océan nous donne des esquisses de réponse dans Un océan, deux mers, trois continents .Le personnage central, Nsaku Ne Vunda est né vers 1853 sur les rives du fleuve Kongo .L’une des particularités de son destin est qu’il a été éduqué à deux sources, dont la cohabitation est à cette époque, très peu fréquente :le culte et le respect de ses ancêtres africains d’une part, une solide éducation chrétienne dispensée par les missionnaires, de l’autre. Il est ordonné prêtre et son nom chrétien est Dom Antonio Manuel …Il est chargé par le roi des Bakongos, peuple du Kongo, de devenir son ambassadeur auprès de pape, Clément V.

Pourtant, Nsaku Ne Vunda va, dans un premier temps, toucher du doigt un épisode de l’histoire humaine décisif pour l’Afrique, bien sûr, mais aussi pour l’économie du monde d’alors, et pour l’Occident : la réduction à l’esclavage de millions d’Africains, et leurs déportations vers les Amériques. Ce roman évite, et c’est l’un de ses multiples mérites atouts, les pièges : celui d’étonner les Africains de toute responsabilité, on n’ose dire complicité, dans l’organisation de la chaîne de la traite négrière : « Notre peuple faiblit, là où il s’était convaincu de se renforcer, il apportait de moins en moins de résistance aux mesquins venus de l’océan, dont le dédain et le cynisme à notre égard augmentait. » Mais ce roman est aussi un voyage à l’intérieur de l’esclavage et de l’Afrique en train de succomber .Ainsi notre prêtre aperçoit-il en pleine brousse une colonne d’esclaves, dont la longueur et la détresse vont lui faire entrevoir avec horreur l’amplitude du phénomène, sa barbarie : « Les contours de femmes, d’hommes et d’enfants nus, attachés les uns aux autres par le cou avec des fourches de bambou, progressant sous la trombe torride, se précisèrent (…) Certains d’entre eux trébuchaient, les autres devaient alors les traîner pour éviter la chute. » Comment croire encore en Dieu lorsque le Mal triomphe ? Dom Antonio Manuel, après avoir fait un voyage vers le Brésil sur un navire Le Vent Paraclet, qui est en réalité un bateau transportant des esclaves vers le Nouveau Monde, prend toute la mesure de l’horreur : les cris des esclaves dans les fonds de cales, ceux qu’on jette par-dessus bord, le mépris des marins, l’attitude du capitaine Louis de Mayenne, exclusivement préoccupé par des considérations mercantiles et d’une totale insensibilité à la douleur de ces gens.

Ou sont alors le salut, la sauvegarde de la fidélité à ses convictions d’Africain, de Chrétien, d’être humain ? C’est l’espérance en la fraternité, la dignité .C’est ce qu’entrevoit Dom Antonio Manuel pendent sa réception par le pape à Rome : il décède, victime de l’épuisement, d’un trop plein d’émotion ? On ne sait .Roman d’aventure ? Roman d’apprentissage ? Roman historique ? Ce récit n’est pas édifiant, il n’est pas manichéen, il a des résonances parfaitement contemporaines, ce qui en fait un grand roman.

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